Aujourd’hui, 9 octobre 2025, Robert Badinter entre au Panthéon. L’avocat, le ministre, l’homme qui fit voter l’abolition de la peine de mort en 1981. Quarante-quatre ans plus tard, le cercueil remonte la rue Soufflot et, dans la foule, un murmure : « Il avait tort, aujourd’hui on aurait besoin de ça. » Ça : le couperet, la peine capitale, la revanche froide. Selon un baromètre paru en 2025, 49 % des Français se disent favorables à son rétablissement, contre 55% en 2020. Les chiffres tombent comme une gifle posthume.
Badinter entre dans la lumière au moment où son combat recule dans les têtes. Ce paradoxe est lourd : à l’ombre de la Panthéonisation, des graffitis recouvrent sa tombe, dénonçant ses combats contre la peine de mort, contre la haine, contre l’intolérance.


L’ombre du talion
C’est le paradoxe français : on pleure le héros de la justice, mais on rêve du bourreau. Les plateaux télé s’enflamment, les faits divers s’empilent, les réseaux s’indignent en boucle, et la tentation revient, œil pour œil, sang pour sang. La vengeance rassure, elle donne l’illusion d’agir. Elle simplifie. Elle promet du soulagement, pas de solution. Mais la justice, la vraie, c’est tout le contraire : elle doute, elle vérifie, elle protège, elle pense long. Elle refuse la colère pour ne pas devenir sa complice.
Badinter l’avait dit : « La justice ne tue pas. Elle répare. » La vengeance, elle, ne répare rien. Elle contamine.
La République au bord de la faille
Rétablir la peine de mort, c’est dire qu’on n’a plus confiance. Ni dans le droit, ni dans les juges, ni dans la société elle-même. C’est admettre que la peur gouverne mieux que la raison. C’est aussi oublier l’histoire : les innocents condamnés, les procès biaisés, les exécutés trop vite. Badinter avait consacré sa vie à cela : empêcher l’irréversible. Empêcher la barbarie d’avoir la robe du droit.
Aujourd’hui, certains politiques surfent sur la peur pour ramener le spectre du talion dans l’hémicycle. Le mot “fermeté” sert de passe-droit à toutes les régressions. Mais la fermeté, ce n’est pas la cruauté. Et la justice, ce n’est pas la revanche.
La justice, muscle du doute
Ce qu’on oublie souvent, c’est que la justice, c’est d’abord le courage de douter. Douter pour mieux juger. Douter pour ne pas se tromper. Douter, c’est ce qui nous distingue des tueurs. La vengeance, elle, n’a jamais douté. Elle s’enivre de certitudes et d’applaudissements.
Badinter l’avait compris, en 1981, quand la majorité des Français étaient encore favorables à la guillotine. Il a eu contre lui l’opinion, mais pour lui la conscience. Il a gagné. Pas pour un camp, mais pour un principe : celui qu’aucune société ne se grandit en ôtant la vie au nom de la loi.
À hauteur d’homme
Robert Badinter entre au Panthéon, mais il laisse derrière lui un vide. Pas celui d’un homme, mais celui d’un cap moral. Face à la tentation du châtiment, il faudrait aujourd’hui un peu de sa voix, de sa lenteur, de sa droiture. Dans le tumulte des colères, il nous reste sa phrase, simple, définitive :
« La justice ne peut être la vengeance organisée de la société. »
À méditer. Avant qu’un jour, pris de peur, on ne se remette à dresser des échafauds.
Sources :
Baromètre annuel du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) publié en janvier 2025.