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Portraits de miliciennes parues dans un journal © Musée de la Libération de Paris

Femmes photographes de guerre : l’exposition qui raconte un métier et une cause au service de l’Histoire  

Le Musée de la Libération de Paris présente 80 photographies de huit femmes photographes ayant couvert les guerres de ces 80 dernières années : des années 1930 et 1940 aux conflits les plus récents. A voir jusqu’au 31 décembre 2022, pour comprendre ce métier au-delà du genre.

En tant que photographe, je sais combien les femmes sont peu présentes dans les crédits des pages de magazine, et encore moins quand il s’agit d’être de grands témoins de la guerre. Pourtants certaines et pas des moindres,ont contribué à forger notre représentation des conflits à travers le monde, et fait connaître un métier peu connu du grand public.

Des photographies pour l’Histoire

Bombardement de Phnom Penh, Cambodge 1975 © Christine Spengler

Cette exposition qui a été produite en Allemagne, puis montrée en Suisse, arrive en France au moment où se déroule sous nos yeux impuissants, la guerre en Ukraine, et pose la question de la construction de ces images, et celle du regard sur un métier dangereux certes, [N.D.L.R. plusieurs photographes sont morts depuis le début de la guerre en Ukraine] mais ô combien nécessaire pour l’histoire. La première sensation quand je rentre dans une exposition photographique c’est de me dire que derrière chaque image il y a une personne qui a immortalisé l’instant T. En l’occurrence dans celle consacrée aux femmes dans la guerre présentée au musée de la Libération de Paris, je m’identifie forcément à celles qui ont déclenché leur arme pour saisir des moments forts de l’Histoire. En observant les biographies de ces femmes, je constate qu’aucune n’en est revenue indemne. Est-ce le sort de notre impuissance à sauver l’humanité qui se trouve être devant nous ou le fait même de participer à ces témoignages qui nous immobilise nous aussi ? Ce qui me frappe au-delà du sujet de la guerre c’est l’esthétisme du regard des femmes photographes. Dans chacun de leur parcours, elles ne photographient pas au hasard, et leur cadrage met en valeur non seulement leur âme, mais aussi leur background. La force du noir et blanc permet au regard de ne pas se disperser et de n’observer que l’essentiel du sujet.

Lee Miller, la photographe des camps de l’horreur

Lee Miller, en Normandie en 1944 ©

Au fil de l’exposition, le visiteur comprend comment ces images prises sur le vif sont traitées par la presse. Il y a par exemple cette photo de Lee Miller prise en 1945. Nous ne pouvons la montrer, mais elle est visible à l’exposition. Comme pour un article de mode, elle a fait un focus sur les chaussons d’un ancien prisonnier de Buchenwald, fabriqués à partir de morceaux de cuir. Dans le texte accompagnant la photo, elle écrit avec une ironie amère que le pyjama à rayure ne sera jamais plus à la mode. Cet exemple montre bien l’ambiguïté de la mission de Lee Miller chargée de réaliser des reportages de mode, alors qu’elle se trouve dans une zone de guerre. Pire dans un camp de concentration. Au-delà de l’horreur des camps, elle a su isoler de façon esthétique une pièce d’un puzzle qui questionne beaucoup plus que si elle avait réalisé un portrait brut de la situation.

Carolyn Cole et le Libéria

Fosse commune à la périphérie de Monrovia. Liberia août 2003 © Carolyn Cole

Deux autres photos m’ont interpellé tant l’esthétique du choix des cadrages ont une force monumentale d’abord celle de Carolyn Cole du magazine Los Angeles Time en couleur cette fois-ci prise en 2003 au Libéria. À première vue cette photo semble représenter des personnes dormant paisiblement, en fait il s’agit de cadavres de la guerre civile Libérienne qui a duré 14 ans. La grâce émouvante et l’esthétique de la photographie rend l’image « regardable » malgré l’horreur du sujet. Puis celles de la photographe française Christine Splengler avec ces enfants au Vietnam jouant avec des obus et cette femme Palestinienne qui protège sa maison contre l’armée à Beyrouth en 1982. Cette photographe a couvert les combats en témoignant surtout sur le sort des femmes et des enfants qui luttent pour survivre à l’arrière du front. En 2003, cette photographe a cessé de pratiquer son art, reste alors ses témoignages qui ont marqué les 30 dernières années du XXème siècle.

Cet aperçu d’images fortes laisse le spectateur face à deux dilemmes : celui du courage de ces femmes, et leur technique pour immortaliser l’horreur de la guerre. En sortant de cette exposition temporaire, il ne faut pas hésiter à poursuivre la visite du musée de la Libération. Nous sommes transportés dès le premier regard dans l’ambiance de l’époque, avec un rythme et une mise en situation qui ne peut nous laisser indifférents. Et, si les femmes photographes de cette époque ne sont pas sorties indemnes de leur acte photographique, le fait même de rentrer dans ce musée, nous interrogera forcément sur l’actualité, et nous questionnera sur l’histoire qui se répète avec l’espérance de nous mettre en garde contre l’obscurantisme.

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