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Le chlordécone un pesticide utilisé dans les bananeraies pour lutter contre les charançons © DR

Chlordécone : victoire amère pour les victimes des Antilles françaises

Vendredi 24 juin, le tribunal administratif de Paris a condamné l’Etat pour des « négligences fautives » dans le dossier du Chlordécone, utilisé comme antiparasitaire dans les Antilles. Il a rejeté en revanche, les demandes d’indemnisation des plaignants pour préjudice d’anxiété.

Vendredi 24 juin, le tribunal administratif de Paris a estimé que « les services de l’Etat ont commis des négligences fautives en permettant la vente d’une même spécialité antiparasitaire contenant 5 % de chlordécone », en homologuant ce pesticide sans préalablement « établir, dans les conditions prescrites, son innocuité sur la santé de la population », mais encore « en autorisant la poursuite des ventes au-delà des délais légalement prévus ». Rapporteuses a contacté Daniel Dalin président du Crefom, le Conseille représentatif des Français de l’Outre-mer, qui n’est pas étonné de cette décision, « les territoires français d’outre-mer anciennement colonies sont toujours confrontés à un traitement discriminatoire et continuent encore aujourd’hui d’être victimes d’injustices et de mépris » selon lui. 

« Pourquoi toujours des demis-décisions ? »

Daniel Dalin président du Crefom © Crefom

Le chlordécone, un pesticide utilisé pour lutter contre les charançons qui ravagent les bananeraies, interdit en France en 1990 mais qui a continué à être autorisé dans les champs de bananes de Martinique et de Guadeloupe par dérogation ministérielle jusqu’en 1993, a provoqué une pollution importante et durable des deux îles. Plus de 90 % de la population adulte en Guadeloupe et Martinique est contaminée par le chlordécone, selon Santé publique France, qui précise que les populations antillaises présentent un taux d’incidence du cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde. Dans un entretien à Outremer la 1ère, le président du Crefom Daniel Dalin avait qualifié cette affaire de “crime contre l’humanité” et demandait l’ouverture d’un procès. L’année dernière, suite à la plainte déposée en 2006 par trois associations de Martinique et quatre de Guadeloupe pour empoisonnement des populations au chlordécone, les juges d’instruction de Paris avaient laissé entendre qu’il y avait de fortes probabilités pour que l’affaire se solde par un non-lieu, à cause de la disparition de pièces du dossier et du délai de prescription des faits. Cette procédure est toujours en cours, mais les sous-entendus des juges, avaient déclenché en mars 2021 l’indignation dans les Antilles, et des plaintes contre d’anciens ministres, déposées par plusieurs associations, avaient été déclarées irrecevables par la Cour de justice de la République. Harry Durimel, maire écologiste de Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, et avocat historique des victimes du chlordécone, avait déclaré : “si cela reste impuni, cela laissera des traces dans la relation historique qu’il y a entre les Antilles et l’Hexagone”. Vendredi 24 juin le tribunal administratif de Paris a reconnu que : « les services de l’Etat ont commis des négligences fautives en permettant la vente d’une même spécialité antiparasitaire contenant 5 % de chlordécone », sous divers noms, « en autorisant la poursuite des ventes au-delà des délais légalement prévus en cas de retrait de l’homologation ». Mais le tribunal administratif a estimé qu’« à l’exception de leur présence en Martinique ou en Guadeloupe pendant au moins douze mois depuis 1973, les requérants [NDLR les 1 240 plaignants, qui réclamaient une indemnisation pour préjudice d’anxiété, défini par le Conseil d’Etat comme “l’anxiété due au risque élevé de développer une pathologie grave, et par là-même d’une espérance de vie diminuée”], ne font état d’aucun élément personnel et circonstancié permettant de justifier le préjudice d’anxiété dont ils se prévalent ». Selon le tribunal administratif « les conclusions indemnitaires présentées par les requérants doivent être rejetées », indique le jugement. De plus, « les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l’Etat aurait tardé dans la mise en place de mesures de protection des populations ou que les informations diffusées auraient été contradictoires », ajoute le tribunal administratif. Contacté, le président du Crefom ne cache pas sa déception. « Pourquoi toujours des demis-décision ? » Il ajoute résigné : « aurait-on fait cela avec d’autres parties de la population ? Il n’y a qu’avec les descendants d’esclave que l’on fait cela. Encore une fois nous sommes victimes de crime, mais nous ne sommes pas reconnus. A l’instar de l’esclavage qui a été reconnu crime contre l’humanité, on ne reconnaît pas la responsabilité de l’Etat, donc pas de dédommagement ». Le président du Crefom va plus loin : « on pourrait penser que l’Etat protège une partie de la population ».

Les Ultras-marins vent debout contre Macron

Un activiste manifeste contre l’usage du chlordécone en Guadeloupe, à Raizet Abymes, le 18 novembre 2007, à l’occasion de la visite de la ministre de la santé de l’époque, Roselyne Bachelot. L’avocat Harry Durimel se tient à ses côtés©

Lors des dernières élections, présidentielle et législatives, les Français d’Outre-mer avait largement placé en tête, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, et le chlordécone était l’une de ces raisons. Pour la journaliste militante Rokhaya Diallo, dans un article paru dans le Washington Post, les Ultra-marin était prêt à voter pour n’importe qui, sauf Macron. Une incongruité quand on connaît le passé de ce parti, l’ancien président du Front national Jean-Marie Le Pen ayant à plusieurs reprises stigmatisé, les Noirs trop nombreux en équipe de France, et reconnaissant même l’inégalité des races. Daniel Dalin ancien adjoint à la mairie de Saint-Denis, admet que le front républicain n’a pas fonctionné en Outre-Mer, en particulier aux Antilles, Emmanuel Macron étant considéré comme le catalyseur de tous leurs maux : pass vaccinal, vie chère, les sargasses [NDLR algues brunes qui envahissent le littoral des Antilles], l’effondrement du système d’eau potable, les violences policières. Dans le dossier du chlordécone nous lui faisons remarquer qu’il n’est pas parti civil bien qu’ayant qualifié l’affaire de “crime contre l’humanité” et demandé l’ouverture d’un procès, ce à quoi il répond : « Nous ne sommes pas partie civile, mais solidaires ». Il précise : « nos moyens financiers sont limités, nous préférons nous mobiliser pour porter des aides directs aux populations d’Outre-mer qui sont dans l’Hexagone, et qui ont de réelles difficultés juridiques. Nous attirons son attention sur Kylian Mbappé qui n’est pas Ultra-marin et n’a pas de difficultés financières : Sur l’affaire Mbappé nous sommes montés au créneau, car il fallait le faire même moralement. Cette personne a tenu des propos racistes. Contrairement à d’autres associations, nous ne demandons pas de dommages et intérêts, mais des condamnations, même symboliques ». [NDLR un homme de 19 ans est jugé pour un tweet raciste à l’encontre de l’attaquant français, publié à l’issue du pénalty manqué, et de la défaite de la France à l’Euro-2020, verdict en septembre].

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