L’homme le plus stylé de la mode vient de mourir : Giorgio Armani, l’un des bâtisseurs de la mode moderne, est parti. Le roi Giorgio défile pour la dernière fois. Créateur, designer, styliste, il a donné au costume et au tailleur une valeur statutaire. Celui qui a régné plus de quarante ans sur un empire planétaire, s’est éteint jeudi 4 septembre à Milan, à 91 ans. Le monde de la mode perd l’un de ses derniers géants. Armani, la classe jusqu’au bout.
Avec lui disparaît une certaine idée de l’élégance : fluide, sobre, sans effet de manche. Armani n’a pas inventé le costume, il l’a désarmé, délesté de ses carcans pour en faire une armure souple, un uniforme du pouvoir moderne. Dans les années 80, son style habille Richard Gere dans American Gigolo et, par ricochet, toute une génération. Chemises ouvertes, vestes légères, épaules arrondies : une allure décontractée mais hiératique, qui fit des millions d’adeptes de Milan à Manhattan.
Né en 1934 à Piacenza, au nord de l’Italie, dans une Italie pauvre et fasciste, Armani grandit entre abris anti-aériens et rigueur familiale. Lui qui voulait devenir médecin bifurque vite vers le cinéma, son autre grande passion, avant de trouver son terrain de jeu dans les vitrines de La Rinascente, grand magasin milanais. Études de silhouettes, sens de la coupe, obsessions de l’épure : tout est déjà là. Dans les années 60, Nino Cerruti l’embauche. Dix ans plus tard, encouragé par son compagnon et associé Sergio Galeotti, il lance sa maison.
La saga Armani, c’est aussi une histoire d’amour. Galeotti, emporté par le sida en 1985, laisse Giorgio seul aux commandes. Il sera dès lors tout : créateur, manager, patron, capitaine intraitable. Pas de cotation en Bourse, pas de compromission : l’empire reste indépendant, fidèle à son maître.
Armani, c’était l’ascèse au service du style. Levé à l’aube, corps sculpté par des heures de gym, vie solitaire, maisons aux murs nus. Deux exceptions seulement à son dépouillement : un Matisse et un Man Ray. Le reste, disait-il, « doit être dans les musées ». Une vie de moine, sauf que son habit était un tee-shirt noir impeccablement taillé.
Le couturier n’a pas seulement redéfini la silhouette masculine. Il a aussi donné aux femmes un tailleur à leur mesure : des vêtements pour entrer en salle de réunion comme sur une scène. Son génie fut de comprendre que l’élégance pouvait être un outil de pouvoir. « J’ai toujours été convaincu qu’un vêtement pouvait aider une femme à décider de l’issue d’un meeting », confiait-il.
Son empire, tentaculaire, dépasse la mode : parfums, accessoires, décoration, restaurants, hôtels, musées. Tout Armani respire le même mot d’ordre : rigueur et fluidité. En 2000, le Guggenheim de New York lui consacre une rétrospective. En 2015, il inaugure son musée Armani Silos à Milan.
Hollywood ne s’y est pas trompé. Des Incorruptibles de Brian De Palma au Loup de Wall Street de Scorsese, de Christian Bale en Batman à Leonardo DiCaprio en golden boy carnassier, Armani a habillé le cinéma comme il habillait le monde.
Sa silhouette, bronzage permanent, cheveux neigeux, regard bleu acier, était devenue une marque en soi. Un roi au trône discret, mais qui tenait son royaume d’une main de fer. « Maestro » pour ses fans, « Monsieur Armani » pour ses équipes, il ne forma ni disciple ni successeur officiel. Seul son fidèle Leo Dell’Orco, bras droit depuis les années 70, pourrait reprendre le flambeau.
Il disait en 2017 : « Mon ultime rêve, c’est de fermer les yeux, de m’endormir, et de m’en aller tranquillement. » Il aura eu cette sortie. Funérailles privées, chapelle ardente à Milan. Le monde pleure un maître qui a su transformer un vestiaire en vision.
Avec Giorgio Armani s’éteint un style, mais il laisse une empreinte indélébile : celle d’une mode sobre, sensuelle, durable. Pas un uniforme. Une manière d’être.