La Mostra a tranché. Samedi soir, sous les ors vénitiens, c’est Jim Jarmusch qui repart avec le Lion d’or pour Father Mother Sister Brother. Un film tout en élégance languide, triptyque familial entre le New Jersey, Dublin et Paris, porté par Adam Driver, Cate Blanchett et Tom Waits. Le jury a préféré la poésie intime à la fureur du monde.
Dans la salle, on retenait son souffle. Et le Lion d’or a fini dans les bras de Jim Jarmusch pour Father Mother Sister Brother, triptyque feutré sur les liens familiaux entre New Jersey, Dublin et Paris. Adam Driver, Cate Blanchett, Tom Waits : casting cinq étoiles, mise en scène à l’os, élégance old school. À 72 ans, l’Américain récolte enfin le Graal vénitien.
Le choix a surpris : beaucoup voyaient déjà The Voice of Hind Rajab, le documentaire coup-de-poing de Kaouther Ben Hania sur la petite Palestinienne tuée à Gaza en janvier 2024, s’imposer. Le film, qui a secoué les festivaliers, n’aura « que » le Lion d’argent. Une façon de reconnaître la puissance du cri sans en faire la palme politique du festival.
Pourquoi ? Parce qu’un Lion d’or à Gaza aurait claqué comme un geste frontal contre Israël et ses alliés. Venise n’a pas osé. Le festival le plus politique du circuit ne veut pas non plus se transformer en conférence de presse de l’ONU. Sacrer Gaza d’un Lion d’or, c’était prendre de plein fouet l’onde de choc d’un conflit toujours brûlant, au risque de braquer une partie de la sphère diplomatique.


Alors le jury a dédoubler le palmarès et préféré jouer l’équilibre en donnant l’or à Jarmusch, vétéran du cinéma indépendant américain, et sacrer la maîtrise narrative, la mise en scène feutrée, la tradition d’un cinéma d’auteur que Venise chérit depuis toujours. Offrir l’argent à Gaza, c’est saluer l’urgence, sans transformer la Mostra en tribune politique. Une décision à la fois esthétique et diplomatique, à l’image d’une édition où le cinéma a constamment frôlé le politique.
Jarmusch repart en maître apaisé, Ben Hania en témoin dérangeant. Et Venise peut se regarder dans la glace en prétendant avoir tout récompensé.
Sur scène, Kaouther Ben Hania l’a dit avec des mots de plomb : « Le cinéma ne peut pas ramener Hind. Mais il peut préserver sa voix. » Standing ovation, larmes et poings serrés. Pendant que Jarmusch, impassible derrière ses lunettes noires, savourait son premier Lion d’or, trente ans après Dead Man.
Mais derrière l’ovation polie, un léger parfum de dérobade. Parce qu’au fond, ce Lion d’argent ressemble à une médaille de consolation. Et que la voix de Hind Rajab, elle, continue de hanter le silence assourdissant des jurés.
Sources :
AFP