Du doublage des stars noires d’Hollywood à ses propres films multiprimés, Galiam Bruno Henry refuse les cases. © Sonadi San

Galiam Bruno Henry : entre deux rives, entre deux vies

Lise-Marie Ranner-Luxin
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Lise-Marie Ranner-Luxin
Directrice de la rédaction
Rédactrice en chef et fondatrice de Rapporteuses, Lise-Marie Ranner-Luxin allie vision éditoriale et plume affûtée. Passionnée par les histoires humaines, les tendances culturelles et l’actualité qui...
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Il a prêté sa voix à Tyrese Gibson et Terrence Howard, raflé 48 prix avec son premier court. Galiam Bruno Henry, acteur sans frontières, trace sa route loin des clichés. De Bordeaux à Ouagadougou, de Paris à Pointe-à-Pitre, il construit son cinéma, refuse qu’on lui colle une étiquette, et revendique un cinéma d’émotion brute, ancré dans la dignité et la résilience. Samedi soir, à Rare Gallery, un ciné-débat autour du documentaire de Maryse Ife Isimat-Mirin, De Bruno à Galiam, ont dévoilé un artiste en quête d’unité : ni seulement Guadeloupéen, ni seulement Africain, mais les deux à la fois. « Négro, poli mais pas teint », comme il aime à se définir, Galiam Bruno Henry dynamite les “cases”. En quête de financements, pour son nouveau projet, il souhaite briser le mur qui sépare l’industrie de ceux qu’elle juge « non bancables ».

Lise-Marie Ranner-Luxin : Ton premier court-métrage Le Service a raflé 48 prix à travers le monde. Est-ce que ce succès a changé ton regard sur ta place dans le cinéma ?

Galiam Bruno Henry : Cela a déclenché l’envie d’en réaliser d’autres, de me positionner réellement en tant que réalisateur et metteur en scène. Je me situe sur une échelle d’une personne qui continue son évolution en mettant en lumière des histoires fortes et profondes d’êtres humains qui touchent les cœurs et éveillent les consciences. Explorer les tabous du soit disant – non acceptable – pour apporter un autre regard sur un certain positionnement de ceux qui pensent détenir la vérité absolue.

L.M.R.L. : Avec Sans Banc Fixe, tu filmes des SDF loin des clichés. Qu’est-ce que tu voulais casser comme image en priorité ?

G.B.H. : Je voulais casser l’image de l’homme soûlard, drogué , sale, inculte et daigné d’humanité. Je voulais casser le regard de l’autre qui pouvait se porter sur eux. L’autre qui sans se douter, pourrait se retrouver à leur place. Les chocs émotionnels arrivent à tout le monde et la dignité humaine n’est pas forcément que dans les quartiers chics.

L.M.R.L. : Dans le documentaire de Maryse Ife Isimat-Mirin, on te suit au Burkina Faso, où tu reçois ton baptême. Comment ce moment a bouleversé ton rapport à tes origines ?

G..B. H. : Ça a été comme une renaissance , un nouveau souffle avec une force intérieure décuplée. J’ai eue une sensation de combler un vide avec cette connexion ancestrale de la terre mère. Moi, Antillais d’origine, j’ai toujours ressenti que j’avais une part d’Africain qui coulait dans mes veines. Ce déclic et ma première fois en Afrique à Ouagadougou s’est fait grâce à ma sœur Irène Tassembedo . J’étais dans sa compagnie de danse. Le spectacle qu’elle avait créé s’appelait Diminoïda. J’ai dansé à l’époque devant Sankara et le Roi. Ce prénom “Galiam” dont je suis fier, m’a permis de faire taire les mauvaises langues. Aux Antilles certains disaient dans le milieu artistique, il est bon mais il a trop une tête d’africain. En Afrique, il tourne partout mais c’est pas un vrai africain. J’ai fait comprendre à mes frères et sœurs qu’il était temps d’avancer et de nous réunir. Et quelque soit le pays d’où l’on vient, mon seul mot d’ordre est : “faisons briller l’humanité ensembles”.

L.M.R.L. : Tu dis ne plus vouloir choisir entre la Guadeloupe et l’Afrique. Comment ça se traduit dans ton travail de comédien et de réalisateur ?

G.B.H. : Je reste la même personne, ci ce n’est que je me sens fort avec ces deux cultures. Je suis né Antillais et j’en suis fier. Je me suis fait baptiser à Ouagadougou en 2020 et j’en suis fier aussi. Ma créativité me vient de l’essence des deux, en plus de tous mes professeurs artistiques en France qui m’ont apporté beaucoup. Pour moi les Antilles et l’Afrique, on fait un. On peut être “très deux, et très proches”. Je n’ai pas envie de mettre une étiquette ethnique en matière d’actorat. Je veux juste qu’on me prenne parce que je suis bon acteur.

Les épices de mon jeu ou de mes réalisations, sont l’enrichissement de ces différentes cultures. Et même si on me traite de négropolitain, (terme employé pour désigner un noir dont l’accent, les codes et la culture s’apparentent plus à la France hexagonale qu’aux Antilles), je réponds toujours que je suis “négro, poli mais pas teint”.

L.M.R.L. : Ton premier long, Le Chant des Ratières, est en préparation avec Time to Dream Prod. Qu’est-ce que tu peux déjà nous en dire ?

G.B.H. : C’est un long-métrage qui a obtenu l’aide à l’écriture de la région CNC Guadeloupe et sera tourné à 80% en Guadeloupe. Après trois ans et demie le scénario est quasi prêt. Je continue de le fignoler.En script doctor j’ai travaillé avec Ange de Berry avec un consulting de Francoise Ellong-Gomez.  J’organiserai un casting local et travaillerai avec des techniciens Guadeloupéens. C’est une comédie dramatique basée sur une histoire vraie qui mettra en avant le pardon et la résilience. Elle mettra en couleur la culture antillaise, à travers certaines traditions, que ce soit au niveau de la gastronomie, de la musique , des paysages, des mœurs. Le film sera tourné en français et en créole.

L.M.R.L. : Tu travailles aussi sur une série, Ti KriK. Pourquoi la dramédie comme format et comme ton ?

G.B.H. : Dramédie = Comédie dramatique. C’est une série de 10×26 minutes que je vais coécrire avec Fabrice Passeboc-Faure et Isabelle Menal. L’idée est venue de Fabrice qui m’avait sollicité pour la réalisation mais pour un long. En lisant le projet, je lui ai suggéré d’en faire une série. Cela a fait tilt dans son esprit. On a commencé à réunir nos idées communes jusqu’à avoir un solide dossier et ensuite on a rajouté Isabelle dans la boucle. 

C’est une série qui plaît beaucoup et qui sera entièrement tournée aux Antilles, en créole et en Français. Je ne parlerai pas du sujet pour l’instant, tant que rien n’est signé au niveau prod. Je me suis déjà fait spolier une fois, je n’ai pas envie que ça recommence.

L.M.R.L. : En France, les Afro-descendants du cinéma peinent souvent à trouver leur place. Comment as-tu vécu ça dans ton parcours ?

G.B.H. : Ça a été et reste un combat de tous les jours. Il est vrai qu’en France ça reste encore compliqué, même si il y a eu une légère évolution. Il y a très peu d’élus sur les premiers rôles, et on retrouve souvent les mêmes sur tous les projets. J’avoue que j’en suis parfois frustré, et mettre demandé si j’avais la bonne couleur. Mais toujours dans mon cœur et dans mes gènes, « Black is Beautiful ». Je connais beaucoup d’acteurs talentueux dits « racisés », et oui, un mot à la mode, qui mériteraient d’avoir leurs noms en haut de l’affiche. Je me suis fait mon petit trou en France, mais pas à la hauteur de mon potentiel. Ma survie, je la dois à des cinéastes étrangers qui ont su déceler mon talent. Cela m’a permis de tourner au Canada, en Chine, en Afrique, au Maroc, à Los Angeles. Et comme je crois au magique, je ne désespère pas d’avoir un jour cette opportunité d’être un peu plus reconnu en France. Attention hein, pas pour les paillettes, mais pour les jolis rôles.

L.M.R.L. : Ta voix française, c’est aussi celle de Tyrese Gibson, Terrence Howard, DjimonHounsou… Qu’est-ce que ça représente pour toi de porter la voix d’acteurs noirs américains ?

G.B.H. : Ça représente que je fais mon métier d’acteur. Il faut être bon pour faire du doublage voix, pour donner sa voix à des stars internationales. Et en France, il y a énormément de talents dans ce domaine. Malheureusement c’est un métier qui est menacé par l’IA, et ça c’est très grave. Le doublage voix est un vrai métier, et l’émotionnel des acteurs, des actrices, ne pourra jamais être remplacé par des machines ou des programmes. 

Et quand je double un acteur noir connu, et oui je ne double que des noirs, dans mon fort intérieur je me dis : Qu’est que j’aimerais avoir ce genre de rôle en France.

L.M.R.L. : Ton cinéma est traversé par la dignité, la perte et la résilience. Est-ce un miroir de ton propre chemin ?

G.B.H. : Oui tout à fait. Il faut pouvoir se mettre à nu pour créer de l’authenticité. Il faut savoir se remettre en question pour avancer. Je ne me mets jamais au dessus des autres. J’aime la connexion d’égale à égale, en sachant que chacun peut apporter à l’autre. J’aime le travail d’équipe avec tout ce que ça comporte. J’aime quand on entre dans une arène de créativité, où les idées fusent à tout va.

Mes blessures, j’en ai fait une force, tout comme ma sensibilité. Malgré encore beaucoup de préjugés, je refuse de me positionner en victime. 

L.M.R.L. : Aujourd’hui tu cherches des financements. Qu’est-ce que tu attends du public, des institutions, des partenaires pour que ton cinéma existe pleinement ?

G.B.H. : C’est grâce au public que j’existe aussi. Car sans lui, qui regardait nos films ? Le public c’est toi, moi, les autres. Avec un sens critique, avec le regard du cœur et l’émotion comme clameur. Je pense qu’il faut pas le persuader mais le toucher avec l’amour de notre art. Et pour ce qui est des partenaires et des institutions, il faudrait juste qu’ils acceptent de nous donner une chance de pouvoir leur montrer qu’on est capable. De ne pas nous bannir car on ne rentre pas dans une ligne éditoriale de marché. Que des artistes non bancables peuvent être aussi bons que ceux qui le sont. Et pour devenir bancables il faut bien démarrer quelque part. D’ailleurs je n’aime pas ce mot «bancable» que j’associe à une valeur pécuniaire au détriment d’une valeur humaine et artistique.

Affiche de “Sans Banc Fixe” le dernier court-métrage de Galiam Bruno Henry qui cherche à en faire un unitaire TV. Affiche © François Parmentier. Photo © Stéphanie Martin

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Galiam Bruno Henry

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Rédactrice en chef et fondatrice de Rapporteuses, Lise-Marie Ranner-Luxin allie vision éditoriale et plume affûtée. Passionnée par les histoires humaines, les tendances culturelles et l’actualité qui fait débat, elle supervise la ligne éditoriale et guide l’équipe avec exigence et créativité. Journaliste expérimentée, elle sait capter les détails qui font vivre un récit et mettre en lumière des voix parfois oubliées, tout en cultivant un regard critique et engagé sur le monde qui l’entoure.
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