Et si le vrai luxe venait d’Afrique ? Cinq ans après avoir lancé Kanthé, sa maison de thés et d’infusions africains, Maïmouna Kanté a présenté le 25 septembre à la Maison de l’Afrique sa nouvelle collection Queen of Africa. Née en Guinée, passionnée de thé depuis sa plus tendre enfance, elle revendique l’excellence africaine comme une évidence et place ses infusions au cœur du business du luxe. Derrière chaque tasse : une ode aux reines, aux terroirs et au féminin. Dans un marché déjà saturé de thés japonais, indiens ou anglais, Maïmouna Kanté bouscule le jeu. Pour elle, l’Afrique n’est pas seulement une racine, mais une marque de fabrique mondiale. Rencontre avec une entrepreneuse qui transforme les rituels ancestraux en business moderne, entre Paris et Conakry.
Rapporteuses : En 2020, vous lancez Kanthé. C’était un pari culturel ou un pari business ?
Maïmouna Kanté : En réalité, mon aventure du thé a commencé bien avant 2020. En 2016, j’ai lancé une première marque dédiée aux thés d’Asie, des grands crus raffinés. Mais très vite, une question revenait sans cesse : “Pourquoi une Africaine parle-t-elle des thés d’Asie ?”
Les hauts et les bas de mon parcours personnel m’ont poussée à me recentrer sur mon identité, mes origines, ma singularité, cette africanité qu’on me rappelait souvent. Et plutôt que d’arrêter, j’ai choisi de raconter une autre histoire avec la même passion : aller chercher en Afrique et découvrir que ce continent est le troisième producteur mondial de thé.
C’est ainsi qu’en 2020 est née la Maison Kanthé, avec une idée simple et ambitieuse : allier ma passion pour le thé à mes racines, et offrir une autre lecture de l’Afrique à travers des produits d’exception.
Rapporteuses : Cinq ans plus tard, votre thé africain est aux Galeries Lafayette : qu’est-ce que ça change dans votre regard d’entrepreneuse ?
M.K. : Après cinq ans, voir les thés Kanthé aux Galeries Lafayette est une immense fierté, mais aussi une responsabilité. C’est une reconnaissance pour notre maison, et surtout la preuve que l’excellence africaine a toute sa place aux côtés des grandes maisons de thé françaises.
Mon souhait est de voir, demain, plusieurs autres marques africaines franchir ces portes prestigieuses. Pour Kanthé, ce n’est pas un aboutissement mais une étape : elle me pousse à être encore plus exigeante, à penser développement et rayonnement.
Rapporteuses : Votre nouvelle collection rend hommage aux reines d’Afrique. Pourquoi convoquer l’imaginaire politique et spirituel pour vendre du thé ?
M.K. : Ces cinq années d’entrepreneuriat m’ont appris que pour bâtir une entreprise, il faut aussi s’entreprendre soi-même : grandir avec sa vision, s’affirmer, évoluer avec son projet.
Avec la collection Queen of Africa, j’ai voulu célébrer la puissance et la résilience féminine en rendant hommage aux grandes reines africaines. Trop souvent, les jeunes femmes africaines ne connaissent pas ou peu ces modèles, et se tournent vers d’autres horizons. Mon ambition est donc de réinscrire ces figures dans notre imaginaire collectif.
Chaque recette est conçue comme un dialogue avec ces reines, en s’inspirant de leurs traits de caractère. Et pour marquer nos cinq ans, j’ai choisi d’associer cette célébration à un symbole fort : le masque Nimba, emblème d’abondance et de féminité, en écho à mes origines guinéennes.
Avec cette gamme en sachets biodégradables et haut de gamme, Kanthé affirme son identité : allier héritage, excellence et modernité.
Rapporteuses : Chez Kanthé, vous parlez d’authenticité, de transmission, d’excellence. Mais dans un monde saturé de storytelling, comment rester crédible ?
M.K. : Au début, je n’osais pas toujours parler d’authenticité, de transmission et d’excellence. Aujourd’hui, ce sont mes piliers. L’authenticité, c’est la traçabilité, le travail direct avec des producteurs engagés. La transmission, c’est dépasser ma propre histoire pour faire rayonner les terroirs africains.
L’excellence, enfin, c’est une exigence personnelle : Kanthé est mon nom, celui de milliers d’Africains. Le porter impose la rigueur, la transparence et l’exigence, pour que chacun puisse être fier de croiser nos thés dans un aéroport, un grand magasin ou demain dans une boutique à New York ou Londres.
Kanthé est né comme une aventure personnelle, mais c’est devenu une vision collective : montrer que l’Afrique a toute sa place dans les imaginaires du luxe.
Rapporteuses : La France a son vin, le Japon son thé vert. L’Afrique, pour vous, c’est quoi, son “goût” identitaire ?
M.K. : Pour moi, l’Afrique a le goût de la diversité et de la richesse végétale. Chaque plante, chaque infusion raconte une histoire : le bissap au Sénégal, le rooibos en Afrique australe, le bulukutu en Afrique centrale, le Kinkéliba en Afrique de l’Ouest, la camomille au Maghreb… Sans oublier que l’Afrique est aujourd’hui le troisième continent producteur de thé.
Comme le vin en France ou le thé vert au Japon, le thé africain est une question de terroir. Je le vois comme un thé gorgé de soleil, ce qui le rend unique. Et nous avons aussi des trésors comme le moringa, qui peut devenir un équivalent noble du matcha.
À travers Kanthé, mon ambition est de faire reconnaître et partager ces saveurs, et d’inviter les thés africains à rejoindre les tables du monde.
Rapporteuses : Vous dites “il faut une femme pour donner naissance, mais un village pour élever un enfant”. Votre “village”, il ressemble à quoi aujourd’hui ?
M.K. : Mon village aujourd’hui, ce sont d’abord les femmes et les hommes qui m’entourent : ma famille, mes proches, mes amis, mes premiers clients, mes partenaires, mes mentors… et même des inconnus qui ont choisi de me faire confiance et de rejoindre l’aventure Kanthé.
Au départ, ce village était surtout composé d’une clientèle européenne, curieuse de découvrir une nouvelle histoire du thé. Avec le temps, il s’est élargi à une diaspora africaine grandissante, fière de voir ses terroirs représentés et reconnue dans le monde du thé.
Je crois profondément qu’on ne bâtit rien de grand seul. Kanthé est né de mes racines, mais aujourd’hui il dépasse ma seule histoire personnelle : c’est une mission collective, portée par le rayonnement des terroirs africains.
Rapporteuses : Business pur : comment on tient une maison de thés quand on doit jongler entre artisanat africain et grande distribution parisienne ?
M.K. : Tenir une maison de thé comme Kanthé, c’est trouver un équilibre permanent entre l’authenticité de l’artisanat africain et les exigences de la grande distribution parisienne.
D’un côté, je travaille main dans la main avec les producteurs et les coopératives africaines pour garantir des plantes de qualité, cultivées avec savoir-faire et dans le respect des traditions. De l’autre, je dois répondre aux standards très élevés des grands magasins parisiens : régularité des approvisionnements, packaging irréprochable, logistique sans faille.
Ce n’est pas toujours simple, mais c’est justement cette double exigence qui fait la force de Kanthé : rester fidèle à mes racines tout en répondant aux codes du marché premium. Cela demande de la rigueur, une vision claire et la conviction profonde que l’excellence africaine mérite d’être visible sur toutes les grandes scènes.
Rapporteuses : On sent chez vous une volonté de replacer l’Afrique dans les imaginaires de luxe. Vous vendez une boisson… ou un manifeste ?
M.K. : Un thé est à la fois une boisson et un manifeste. Oui, nous vendons du thé, mais derrière chaque tasse, il y a une histoire, une vision, une identité.
Avec Kanthé, je veux montrer que l’Afrique a toute sa place dans les imaginaires du luxe. Nos terroirs, nos savoir-faire et nos symboles méritent d’être célébrés avec la même exigence qu’un grand vin français, un champagne ou un thé japonais.
Kanthén’est pas seulement une marque : c’est une invitation à reconsidérer l’Afrique autrement, avec rigueur, respect et fierté.
Rapporteuses : Derrière vos boîtes dorées et vos noms royaux, il y a aussi des pays producteurs, des cueilleurs, des filières. Comment gérez-vous la réalité économique ?
M.K. : Derrière chaque boîte Kanthé, il y a des pays producteurs, des coopératives de femmes au Togo, au Mali, en Guinée, et des producteurs de thé au Malawi ou au Rwanda… J’ai voulu travailler en étroite collaboration avec eux, en achetant à un prix juste et en choisissant des structures engagées dans une démarche environnementale et sociétale.
Travailler directement avec les producteurs me permet de garantir la qualité, mais aussi de mettre en lumière leur savoir-faire. Pour moi, Kanthé est plus qu’une marque : c’est un ambassadeur de ces femmes et de ces hommes qui œuvrent souvent dans l’ombre.
Bien sûr, cela demande un équilibre : maintenir un prix accessible tout en intégrant les coûts de production et de transport. Mais je crois que la valeur ajoutée de Kanthé réside dans cette transparence et cette rigueur économique alliées à une mission culturelle.
Rapporteuses : Dans dix ans, vous vous voyez où : à Shanghai avec Kanthé, ou de retour en Guinée autour d’un thé partagé ?
M.K. : l’Afrique est ma source et le monde est ma scène. Dans dix ans, je me vois à la fois à Shanghai et en Guinée. Parce que l’ambition de Kanthé est d’être présent dans les grandes capitales du monde, mais mon ancrage restera toujours en Afrique.
Je rêve d’une maison Kanthé qui rayonne à l’international, dans les lieux les plus prestigieux, tout en restant connectée à Conakry, à mes racines, à ce rituel simple du thé partagé comme le Ataya.
Pour moi, ces deux visions ne s’opposent pas, elles se complètent.



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Crédits photos : Kanthé