Paris La Défense Arena le 12 octobre 2025 : Booba, alias le Duc de Boulogne a offert à ses fans un show titanesque inédit, baptisé "Nemesis". © Instagram compte boobamedia. Page de fans

Le Duc en garde à vue

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Rédaction Rapporteuses
Observatrices curieuses et infatigables, Rapporteuses racontent le monde qui les entoure avec un regard à la fois précis et espiègle. Du glamour des soirées parisiennes aux...
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Il y a des artistes qui font salle comble. D’autres qui font les salles de garde. Booba, lui, a décidé de cocher les deux cases. À peine les projecteurs éteints de son show monumental à Paris La Défense Arena, les 10, 11 et 12 octobre, le Duc de Boulogne s’est retrouvé sous une lumière un peu moins flatteuse : celle des néons d’un commissariat, dans une garde à vue liée à une affaire de harcèlement numérique. Du flow au flou judiciaire, il n’y a qu’un tweet.

Le Duc de Boulogne, 48 ans, est passé en mode bad buzz institutionnel mercredi matin, convoqué par la BRDP pour une histoire de harcèlement sur Gims et son ex, Demdem. Selon les éléments rapportés par Médiapart, les plaintes remontent à quelque « six ans » de harcèlement en ligne, mêlant moqueries sur l’apparence physique de Gims, attaques verbales contre son ex compagne, et reprise de certains propos à l’encontre de cette dernière dans le morceau Dolce Camara.

Dans les geôles de la justice

Six ans de clashs, de stories, de “micros-attaques” en 280 caractères, et le tout finit dans une salle sans Wi-Fi, avec un flic qui lit vos tweets à voix haute. Ironie post-rap : la plus grande star du clash 2.0 rattrapée par la réalité 1.0. C’est un peu comme si Booba avait décidé de tester la limite entre la punchline et la garde à vue. Spoiler : elle est fine. Très fine.

Dans la garde à vue, les enquêteurs ont saisi les publications incriminées, les messages diffusés, les paroles mises en cause ; certains propos ne pouvaient plus être contestés. Booba, de son côté, a opposé la défense de la libre expression artistique, particulièrement pour ce qui concerne les paroles de ses morceaux.

Ce qui frappe, c’est le timing parfait, presque trop. Quelques jours avant, le même Booba galvanisait des milliers de fans avec ses classiques Pitbull, 92i Veyron ou Mona Lisa. Sur scène, torse bombé, regard dur, il jouait les gladiateurs de banlieue devenus légende du rap français.

Le show porte le nom Nemesis, en écho à la déesse grecque de la colère et de la justice, figure qui, involontairement, préfigure le présent drame judiciaire. L’entrée est “majestueuse” : sur un immense écran de 1 500 m², un film dramatique introduit une séquence où Booba surgit capé et en armure depuis une passerelle haute, tel un guerrier moderne descendant dans l’arène. Le rappeur descend dans la salle, face à près de 40 000 spectateurs chaque soir, soit un total d’environ 120 000 spectateurs sur les trois dates.

Sur scène, Booba mise moins sur l’effort chorégraphique que sur la présence. Des classiques sont déroulés : AC Milan, Attila, Paradis, Tombé pour elle, Kalash, et d’autres. Une spectatrice rapporte : « sa présence suffit » ; elle note qu’il ne danse pas, mais qu’il sait où se placer, quand apparaître, comment doser l’impact.

D’un point de vue technique, le spectacle est complexe, soigné : la scénographie est travaillée, les visuels soignés, le contraste entre l’écran et la salle exploité. Mais il reste fidèle au format rap live classique : ce n’est pas une comédie musicale, ce n’est pas du théâtre, c’est Booba dans son univers, avec ses codes, ses silences, ses exagérations. Le concert dure environ 2h30.

À peine descendu de l’arène, le voilà ramené à la réalité, menotté par ce qu’il dénonce depuis des mois : la justice, les médias, les « influvoleurs ». Et pour cause, à force de jouer au Don Quichotte du digital, Booba s’est retrouvé à combattre ses propres moulins. Rappelons que sa croisade contre le business de l’influence avait déjà viré à la saga judiciaire.

En 2023, il avait été mis en examen pour harcèlement moral aggravé dans une affaire opposant Magali Berdah à son entourage, et il est également cité dans des procédures pour injures ou contenus à caractère raciste ou antisémite.

Résultat : ses uppercuts verbaux, drôles ou violents selon le point de vue, finissent par lui revenir en pleine mâchoire. À 48 ans, l’homme qui voulait « nettoyer le game » est pris dans la toile qu’il a lui-même tissée.

Alors la question se pose crûment : jusqu’où la provocation lyrique bénéficie-t-elle de l’abri de la liberté d’expression ? Et à quel moment le verbe, amplifié par l’effet de meute numérique, engage-t-il une responsabilité réelle devant la loi ?

Entre deux gardes à vue et trois rappels à la loi, Booba adore régner sur le chaos. C’est l’homme qui a transformé les réseaux en ring de boxe, la punchline en missile, et le tribunal en potentiel featuring. Quand il ne distribue pas des mandales numériques à ses rivaux, il remplit La Défense Arena comme d’autres remplissent leur frigo avant un confinement. Trois soirs, 120 000 personnes, et un décor de guerre façon Gladiator sous autotune. Sur scène, il entre en armure. Dans la vie, il sort menotté. La cohérence, toujours.

Le Duc, c’est toujours le même paradoxe : un roi sans royaume, qui réside aux Etats-Unis à Miamai, un moraliste à punchlines, un homme de guerre en jogging. À la Défense Arena, il a prouvé que son trône n’était pas vacillant. Son show, salué même par ceux qui adorent le détester, respirait la maîtrise, le mythe, la machine de guerre. Une célébration XXL d’un artiste qui, qu’on le veuille ou non, a façonné la bande-son de toute une génération.

Pourtant, impossible de ne pas y voir une ironie tragique et un génie du timing. Booba n’est jamais aussi puissant que dans la controverse. Sa garde à vue ? Un épisode de plus dans sa mythologie. Son concert ? Une preuve que le public, lui, s’en fout royalement des prétoires. Il veut du beat, pas du bitume judiciaire.

La garde à vue, qui aurait été levée jeudi midi (après environ 24h) selon certaines sources, ouvre la voie à un renvoi vers un magistrat instructeur. Celui-ci pourrait décider de le mettre en examen ou de classer l’affaire sous le régime du témoin assisté.

Clash, cash et crash

Le drame chez Booba, c’est que tout est spectacle. Même la procédure judiciaire. Pendant qu’il répondait aux enquêteurs sur “la portée de ses propos”, son équipe promo devait déjà brainstormer sur un visuel : “Booba : la liberté d’expression en garde à vue.” T-shirt disponible en précommande.
On ne va pas lui enlever son sens du timing : le type clôture sa tournée “Némésis” (déesse de la vengeance, fallait oser) et se retrouve convoqué pour harcèlement. On dirait du Molière remixé par Skyrock.

Sur scène, Booba joue au stratège : laser, orchestration symphonique, mots choisis. Dans les commissariats, il improvise. “Je ne harcèle pas, je réponds.” “Je ne vise pas Demdem, je vise la société.”

À force de tout transformer en métaphore, il a fini par se prendre les pieds dans la prose. Le rappeur le plus structuré de France se fait coincer par ses propres lettres.

“Dolce Camara”, amère réalité

Le morceau au centre du clash s’appelle Dolce Camara. Traduction : douce vengeance. Un titre parfait pour résumer la boucle infinie de Booba : un coup porté, un coup rendu. Et sur scène, il ne recule pas. Il balance la punch “On les aime fraîches, bien michtos, comme Demdem”, pendant que 40 000 fans scandent le prénom de la plaignante. Ambiance tribunal-open-air. On a vu procès plus discrets.

C’est Dolce Camara qui clôture le show, et là surgit la tension entre l’art et le reproche judiciaire : les paroles sexistes du morceau, notamment cette ligne « On les aime fraîches, bien michtos… comme Demdem », sont scandées devant la foule, accompagnées d’une gestuelle, ce que souligne l’article de Mediapart, pendant que les spectateurs crient “Demdem” à plusieurs reprises. Le geste prend une dimension symbolique : ce qui dans l’album pouvait passer pour une punchline polémique devient, sur scène, une mise en scène provocatrice assumée face à des accusations portées dans les heures qui suivent.

Mais c’est là tout le paradoxe : Booba est devenu victime de son propre storytelling. À force d’être le justicier de Twitter, il finit dans les mains de la justice. Le problème du rappeur qui se prend pour une institution, c’est que l’institution, elle, a des convocations officielles.

Le Duc, pas dupe

Booba sait pourtant que cette mise en scène lui profite. Il joue la victime du système, le rebelle traqué, le poète incompris des hashtags. En clair : il transforme sa garde à vue en promo sauvage. La BRDP ? Nouveau label. Le procès ? Un showcase privé. “Piraterie jamais finie” qu’il disait. Il faudrait juste préciser : “sauf quand c’est la justice qui coupe le son.”

On pourra lui reprocher beaucoup de choses, sauf le sens du spectacle. Et c’est là que tout devient vertigineux : Booba n’est plus seulement un artiste, il est une machine à produire de la tension narrative. Chaque tweet, chaque convocation, chaque tube alimente la même légende : celle d’un homme seul contre tous, mi-rappeur, mi-procès ambulant.

Alors oui, Booba dérange, Booba agace, Booba dépasse, mais c’est aussi notre miroir. On le raille, on le juge, on le “cancel”, mais on clique. On regarde. On commente. On aime le voir déraper. Il incarne notre époque : spectaculaire, contradictoire, sous dopamine. Booba, c’est la France 2025 en 16 mesures : outrée, fascinée, et prête à rejouer le clash demain. Il reste l’irréductible, le trublion, l’enfant terrible qui mord encore la main du système, tout en remplissant ses stades.

Alors oui, le Duc est en garde à vue, mais son royaume, c’est nous. Et tant qu’il y aura un micro, un compte X (ex-Twitter), et une punchline, la piraterie ne sera jamais finie.

Et peut-être que c’est ça, au fond, être une légende : savoir transformer le vacarme des sirènes en rimes éternelles.

Sources :

Médiapart

RTL

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Observatrices curieuses et infatigables, Rapporteuses racontent le monde qui les entoure avec un regard à la fois précis et espiègle. Du glamour des soirées parisiennes aux coulisses des affaires, de la culture aux nouvelles tendances, elles parcourent la ville et le monde pour capter les histoires, les personnages et les mouvements qui font l’actualité. Toujours sur le terrain, elles mêlent rigueur journalistique et sens du récit, pour offrir aux lecteurs des portraits, enquêtes et chroniques à la fois informatifs et captivants.
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