Le festival de la bande dessinée, temple du 9e art depuis un demi-siècle, vacille. Grands éditeurs en fuite, auteurs en colère, gouvernance contestée : le FIBD, joyau culturel français, traverse sa plus grave crise.
Chaque hiver, la ville d’Angoulême se couvre d’affiches géantes. Depuis 1974, auteurs, éditeurs, lecteurs, critiques, tous convergent dans la vieille ville pour quatre jours de dédicaces, d’expositions, de prix et de rencontres. Avec Moebius, Riad Sattouf ou Catherine Meurisse sur les murs du théâtre, le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême est la messe du neuvième art. Quatre jours de ferveur dessinée, un lieu de reconnaissance, d’amour, de coups de gueule aussi. Mais cette année, la fête tourne à la crise. Et la BD française tremble sur ses planches.
« En danger de mort » : l’alerte des lauréats
Lundi, Le Monde publiait la tribune choc de vingt anciens lauréats du Grand Prix, relayée par L’Humanité : « Le festival d’Angoulême est en danger de mort. » Rien de moins. Ces signatures, de prestigieux auteurs qui ont fait la légende du festival, tirent la sonnette d’alarme : gouvernance opaque, dérives internes, perte de sens. En clair, Angoulême, c’est devenu un business privé sous perfusion publique.
Derrière les bulles, les chiffres : 3 millions d’euros de budget, 200 000 visiteurs, une économie touristique locale cruciale. Et pourtant, la structure qui pilote le festival, la société privée 9e Art+, concentre les critiques. Accusée d’opacité, d’autoritarisme, et même, selon Le Figaro, de gestion « indigne d’un événement d’intérêt national ».
Les éditeurs lâchent l’affaire
Mais c’est Libération qui a sorti l’info qui affole : « Les gros éditeurs lâchent le festival. » Dargaud, Dupuis, Casterman, Delcourt… Tous menacent de se retirer. Une désertion en règle. En cause : l’absence de transparence dans la reconduction du contrat de 9e Art+ et une série de scandales qui ont fini d’entacher l’image du festival.
Au cœur de la tempête : des accusations de harcèlement et d’agression sexuelle au sein même de l’organisation, suivies d’un licenciement d’une salariée ayant porté plainte. Pour beaucoup d’éditeurs, la coupe est pleine. « Angoulême ne peut pas être un salon du déni », lâche un éditeur, sous couvert d’anonymat.
Un modèle à bout de souffle
En 2025, la BD ne se vend plus comme avant. Après l’explosion post-Covid, le marché stagne ; les marges s’effondrent, les petits labels trinquent. Dans ce contexte, la grand-messe charentaise ressemble de plus en plus à un mastodonte déconnecté du terrain.
« Les auteurs ne vivent pas de leurs planches, les éditeurs croulent sous les frais, et le festival célèbre encore la gloire d’un système épuisé », résume un dessinateur croisé dans les rues d’Angoulême lors de la dernière édition. L’ambiance n’est plus à la fête : les bulles sont prêtes à éclater.
Un patrimoine national menacé
Car Angoulême, c’est plus qu’un salon : c’est une vitrine mondiale. Le rendez-vous du manga, du roman graphique, du comics. Le lieu où l’on découvre les futurs grands prix et les jeunes pousses de l’illustration. Le site officiel bdangouleme.com parle de « lieu de dialogue, d’échange et de célébration du neuvième art ». Une mission qui semble aujourd’hui s’effriter sous le poids des égos et des intérêts.
La prochaine édition, prévue du 29 janvier au 1er février 2026, sera cruciale. Si les grands éditeurs tiennent leur menace, le festival pourrait ressembler à un village fantôme, sans stands, sans auteurs, sans passion.
« Sauver Angoulême »
Derrière les appels à la réforme, une certitude : le festival doit se réinventer ou disparaître. Revoir sa gouvernance, rétablir la confiance, redonner la parole aux créateurs, reconnecter avec le public. Les voix montent pour que l’État s’en mêle. Certains imaginent une structure mixte, moitié publique, moitié associative. D’autres veulent un grand ménage.
Mais à Angoulême, la BD a la peau dure. Entre deux polémiques, un enfant ouvrira un album, un ado dessinera son premier strip, un vieux fan retournera feuilleter L’Incal au bord de la Charente. Parce qu’au fond, la magie d’Angoulême tient en une bulle : celle d’un monde où le dessin, malgré tout, continue de parler plus fort que les crises.
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