A chaque Journée mondiale de lutte contre le sida le 1er décembre, c’est l’heure des bilans. Cette année, Terpan, médecins et acteurs de terrain tirent la sonnette d’alarme. En France, 5 100 nouvelles séropositivités en 2024, dont près d’un cinquième chez les moins de 25 ans. Préservatifs délaissés, dépistages tardifs, discriminations tenaces : trente ans après les années noires, l’épidémie continue de circuler en silence.
On pensait l’époque des rubans rouges et des campagnes choc rangée dans les archives de l’INA, et bien il n’en est rien. Les chiffres publiés fin octobre par Santé publique France, sonnent comme une alarme : 5 100 personnes ont découvert leur séropositivité en 2024. Et 43 % l’ont appris trop tard, au stade où le virus a déjà creusé son sillon. Un chiffre encore plus inquiétant : 17 % des contaminations concernent les moins de 25 ans. Une génération soi-disant hyperinformée, surconnectée, « libérée », mais qui, en réalité, se protège de moins en moins. Elle n’a pas connu la peur des années 80, vit avec l’idée qu’un traitement existe, et qu’il “suffit” d’être pris en charge. Une illusion dangereuse. L’épidémie n’est donc pas terminée, les IST, repartent elles aussi à la hausse avec 61 100 chlamydias, 25 800 gonocoques, 6 500 syphilis. Et c’est l’Île-de-France qui concentre la majorité des diagnostics, comme un vieux foyer jamais vraiment éteint.

Préservatifs gratuits, mais invisibles
À Gallardon, dans l’Eure-et-Loir, la PME Terpan observe l’épidémie depuis son usine et ses 50 millions de préservatifs vendus chaque année. Depuis 2024, ses modèles masculins et féminins, Sure & Smile® et So Sexy & Smile®, sont remboursés par l’Assurance maladie, gratuits pour les moins de 26 ans en pharmacie. Gratuits, mais encore trop méconnus. « Le préservatif reste le seul moyen de se protéger à la fois du VIH et des IST, il faut le marteler », insiste Alexandra Guérin, responsable qualité chez Terpan.
Fondée en 1986, l’entreprise est née au cœur de l’urgence VIH. Aujourd’hui encore, elle collabore avec Médecins sans Frontières, la Croix-Rouge, AIDES, Médecins du Monde. Ses équipes sillonnent écoles, festivals, pharmacies, universités. Terpan rappelle aussi le lancement d’un nouveau kit de dépistage gratuit par auto-prélèvement pour les femmes, livré à domicile depuis juin 2025, une avancée que la majorité des jeunes ignore encore.


La PME alimente aussi des distributeurs installés dans plus de cent établissements des Hauts-de-France : 13 000 préservatifs distribués dans les collèges et lycées. Dans le reste de la France, via des accords avec des lycées, universités et associations, près de 500 000 préservatifs ont été mis à disposition des élèves sur l’année 2024-2025. On est loin du préservatif roi des années 90, aujourd’hui, force est de constater que le latex n’a plus le prestige de l’époque où il sauvait des vies à la chaîne.
Dépistage tardif, jeunesse précaire
Les médecins eux parlent d’« épidémie silencieuse ». Trop de jeunes n’ont ni médecin traitant, ni budget, ni temps. Beaucoup vivent leur santé sexuelle comme un lointain chapitre de SVT. L’accès aux soins est morcelé, les tabous persistent, le jugement plane, surtout pour les jeunes LGBTQIA+.
Près de la moitié d’entre eux ont subi discriminations ou violences. Un sur trois renonce aux soins. 36 % des personnes trans témoignent avoir été discriminées lors d’un rendez-vous médical. Pas étonnant donc que le dépistage ne soit pas un réflexe.
Le campus comme dernier rempart
Les Services de Santé Étudiante et les CROUS se retrouvent en revanche en première ligne. Préservatifs gratuits dans les résidences, dépistages rapides (TROD) organisés entre deux partiels, bus itinérants, permanence psy 7 jours sur 7. « L’université est le dernier lieu structuré avant l’âge adulte. Si on n’agit pas là, on perd des années cruciales », rappelle une responsable de service.
Les équipes constatent les mêmes freins d’un campus à l’autre : désinformation, alcoolisation festive, multipartenariat, violences sexuelles. Les inégalités se glissent jusque dans les lits des étudiants.
PrEP injectable : la révolution qui n’atteint pas encore les jeunes
La prévention, elle, heureusement avance : la PrEP injectable tous les six mois s’impose comme une petite révolution sanitaire. Une injection semestrielle qui protège mieux et simplifie le quotidien de celles et ceux qui, jusque-là, n’arrivaient pas à suivre une prise de comprimés quotidienne. Mais l’accès reste trop urbain, trop masculin, trop confidentiel. Les publics invisibles, ruraux, migrants, jeunes précaires, en restent à distance.
Champigny, laboratoire de proximité
Dans le Val-de-Marne, Champigny-sur-Marne fait figure de modèle. La municipalité mène une politique de santé publique proactive avec deux centres de santé universitaires, des pôles intégrés, un CeGIDD, des consultations en gynécologie et infectiologie, un centre de vaccination, un forum santé sexuelle dans les lycées, des ateliers sur les règles, un soutien aux jeunes victimes de violences. Une architecture de prévention digne des grandes villes, mais pensée au plus près du terrain : aller vers, plutôt que d’attendre. Exemple rare en France. La plupart des communes manquent de moyens, ou d’intérêt.
Les chiffres décrivent la même histoire depuis dix ans : on ne dépiste pas assez, on informe mal, on protège moins. 5 100 diagnostics, 43 % trop tardifs, 17 % chez les moins de 25 ans. Aujourd’hui 1er décembre, c’est donc le moment de rappeler que l’épidémie n’a jamais cessé. Elle s’est juste glissée hors du champ de vision. Le sida n’est plus une menace spectaculaire mais une présence grise, installée, moins médiatisée, plus sournoise. 8,5 millions de tests VIH ont été réalisés en France en 2024. Et pourtant, 9 700 personnes vivent avec le VIH sans le savoir. Parce que le dépistage reste un acte perçu comme lourd, honteux, éloigné.
Plus d’infos :
CeGIDD : Créés par la loi de finances de la sécurité sociale de 2015, les CeGIDD résultent de la fusion des consultations de dépistage anonyme et gratuit (CDAG) et des Centres d’information de dépistage et de diagnostic des infections sexuellement transmissibles, les IST (Ciddist).
Sources :
Conférence de presse HF Prevention « Santé Sexuelle des Jeunes » 6 novembre 2025
Interventions :
Jérôme ANDRE – Directeur HF Prévention
Thomas LOUZANI – responsable HF Prévention Ile-de-France
Stéphanie ESTEVE-TERRE – Psychologue sociale


