C’est peut-être l’une des plus grandes ruptures biomédicales depuis l’arrivée du test de Guthrie. Une révolution, passée quasi inaperçue et qui se joue dans les salles de naissance. Cinq centres hospitaliers français viennent de rejoindre Pelargos, un programme d’intelligence artificielle piloté par B&A Biomedical, dont l’ambition est simple, mais presque dérangeante : détecter le risque d’autisme dès la naissance, à partir de données collectées au berceau.
Un projet qui promet de transformer radicalement le parcours de centaines de milliers d’enfants, et qui ouvre, au passage, un débat éthique sur la place de l’IA dans la santé périnatale.
Une promesse sans précédent : repérer les risques au premier jour de vie

En France, près de 700 000 personnes vivent avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA). Le diagnostic n’est posé qu’entre 4 et 6 ans, après un long parcours médical où les familles, souvent livrées à elles-mêmes, multiplient les bilans et les consultations.
« Trop tard », tranche le neuroscientifique Yehezkel Ben-Ari, fondateur de B&A Biomedical, connu pour ses travaux sur le développement cérébral :
« Plus le diagnostic est posé tôt, plus les interventions sont efficaces. On perd des années décisives. »
Pelargos entend combler ce gouffre, en analysant des données de routine collectées en maternité, signaux physiologiques, paramètres neurologiques, éléments de suivi néonatal que les équipes médicales n’exploitent aujourd’hui que pour surveiller la santé immédiate du nouveau-né.
Grâce à des algorithmes entraînés sur des centaines de profils, l’IA identifie des « signatures » atypiques qui pourraient signaler un risque de TSA.
Une première étude déjà publiée… et un taux de réussite inédit
Une étude pilote, menée avec le CHU de Limoges et publiée dans Scientific Reports (Nature), a déjà fait l’effet d’un pavé dans la mare : près de 50 % des enfants à risque identifiés, avec seulement 4 % de faux positifs.
Un score qui, dans le monde du dépistage néonatal, relève de la prouesse. Le projet a d’ailleurs reçu le Trophée de l’e-santé 2022.
Une nouvelle phase à grande échelle
Pour vérifier la robustesse du modèle, cinq centres hospitaliers franchissent aujourd’hui le pas : le CHU Grenoble-Alpes, Centre Hospitalier Eure Seine, Hôpital La Musse, Nouvel Hôpital de Navarre, CHU Rouen-Normandie. L’objectif est de constituer une cohorte de 2 000 enfants, dont 1 000 avec TSA confirmés et 1 000 neurotypiques, un volume qui doit permettre à l’algorithme d’atteindre 60 à 70 % de détection. L’opération est soutenue par la Région Sud, l’État via le PIA4, et labellisée Eurobiomed.
Les enjeux : révolution, espoirs… et interrogations


Si le dispositif tient ses promesses, Pelargos pourrait, réduire de plusieurs années le temps d’errance diagnostique, lancer les thérapies éducatives dès 2-3 ans, augmenter potentiellement l’autonomie à long terme, et ouvrir une nouvelle ère de recherche sur les biomarqueurs de l’autisme.
Mais derrière cet horizon radieux, des questions majeures émergent, que soulèvent déjà plusieurs spécialistes : “Peut-on prédire un trouble neurodéveloppemental à la naissance ?” L’autisme est multifactoriel, complexe, variable. Le risque n’est pas le diagnostic. “Comment accompagner les parents face à un “risque IA” chez leur bébé ?” En effet, vivre avec une épée statistique au-dessus du berceau peut générer inquiétude, pression, voire stigmatisation. Et enfin “jusqu’où laisser l’IA s’immiscer dans la médecine néonatale” ?
Pour certains observateurs, Pelargos marque l’entrée dans une « médecine prédictive de masse », dont les dérives devront être strictement encadrées. Pour Ben-Ari, aucune hésitation :
« C’est une révolution médicale et sociétale. Nous apportons un outil inédit pour donner à ces enfants toutes leurs chances. »
Une première mondiale… à la française
Certes le succès scientifique est incontestable, et l’avancée sociale espérée depuis longtemps. La France pourrait devenir le premier pays au monde à proposer un dépistage néonatal de l’autisme. Une perspective qui fascine autant qu’elle questionne. Mais cette avancée représente aussi, un tournant anthropologique : celui d’une société où l’IA lit dans le corps des nouveau-nés des trajectoires encore invisibles aux médecins. La question n’est plus seulement « peut-on le faire ? » Mais « comment le fait-on, et sous quelles garanties pour les enfants, les parents, et la société tout entière ? » Pour l’heure, le chantier avance vite, très vite, mais le débat public, lui, n’a pas encore commencé.
Sources :

