La France manque de bébés. C’est officiel, statistique à l’appui : 2024 affiche la natalité la plus basse depuis l’après-guerre. Les naissances chutent de 2,3% sur les dix premiers mois de l’année 2025 par rapport à l’année dernière selon l’INSEE. Autre chiffre inquiétant : en mai 2025, le nombre de décès cumulés sur un an, a été supérieur à celui des naissances. Alors, « faut-il faire des enfants pour sauver le pays ? » Sur le terrain, l’équation est tout autre. Entre salaires qui stagnent, loyers stratosphériques, avenir climatique en décomposition et charge mentale qui bat des records, un nouveau discours émerge, particulièrement chez les femmes : « Je n’ai pas envie de sacrifier ma vie pour compenser les défaillances de l’État ».
Et si la France ne manquait pas de bébés, mais de perspectives ? Chronique d’un pays qui demande à sa jeunesse de procréer, mais qui ne lui donne pas de perspectives d’avenir.
Les jeunes adultes coincés chez leurs parents
Citoyennes, citoyens, au boulot ! Faites un effort pour la patrie. À 29 ans, Sarah habite toujours dans l’appartement familial à Noisy-le-Sec. Non par choix romantique du “cocon”, mais faute d’alternative. Après avoir quitté sa famille, pour aller étudier à Montpellier, elle est revenue en Région parisienne et travaille en CDD dans une association, et comble de tout, la jeune femme avoue que son salaire ne couvre même pas de quoi se payer un studio de 18 m² à Paris. « On nous dit : “Faites des enfants, il faut sauver les retraites”. Mais j’ai déjà du mal à sauver ma propre autonomie. Comment je fais un bébé quand je partage encore la table du salon avec mes petits frères ? ». Elle rit, jaune. Fonder une famille quand, à 29 ans, tu partages toujours la salle de bain avec papa-maman et qu’un studio parisien coûte le prix d’un rein (non indexé sur l’inflation), non et non ! Effectivement comme le fait remarquer Sarah, faire des enfants demande un espace, un revenu, un horizon ; trois choses devenues denrées rares. La génération boomerang n’a jamais si bien porté son nom : on revient vivre chez ses parents, et surtout, on ne s’en va plus.
Le retour d’un discours nataliste qui ne dit pas son nom
A force de répéter que le corps des femmes est la solution miracle à la crise du système de retraite, beaucoup répondent : merci, mais non merci. Les femmes ne sont pas des “centrales à bébés” destinées à équilibrer les comptes de l’URSSAF. Elles sont épuisées, précarisées, pressées de partout, dans leur vie pro, leur vie perso, et encore sommées de sauver la nation à la force de leur utérus.
Dans son cabinet de sage-femme à Tours, Louise voit la tendance se retourner. Plus de refus de grossesse, plus d’ambivalence, plus de renoncements. Selon elle, le discours public entretient une injonction larvée : « les femmes doivent sauver la nation en faisant des enfants. » Elle souffle : « on parle de natalité comme d’un indicateur économique, mais pas du prix payé par les femmes : carrière ralentie, inégalités salariales, charge domestique… Le corps des femmes n’est pas une machine à fabriquer des futurs cotisants. » Pour les jeunes générations, féministes et informées, cette rhétorique passe de plus en plus mal.
Le désert du service public de la petite enfance
Devenir parent, en France en 2025, c’est aussi se retrouver à la tête d’une start-up logistique où il faut jongler entre télétravail, nounou introuvable et listes d’attente dignes d’un festival de Cannes. Clémence, 31 ans, ingénieure à Lyon, a mis un an à trouver une place en crèche pour son premier enfant. « Une place en crèche, aujourd’hui, c’est comme obtenir un visa pour la lune », se moque-t-elle. Les fermetures se multiplient, faute de personnel. Les employées s’épuisent pour des salaires bas. Des familles entières réorganisent leur vie professionnelle autour des listes d’attente.
Faire un enfant, c’est un parcours du combattant. On nous encourage à
Clémence, 31 ans, ingénieure à Lyon
procréer, mais le pays n’est pas foutu d’organiser trois berceaux et un planning.
Le climat comme nouvelle frontière de la parentalité
Pour les moins de 35 ans, la question de l’enfant est désormais écologique. « Dans quel monde je le fais naître ? » Entre écoanxiété, effondrement des biodiversités, sécheresses et canicules, beaucoup hésitent, pas par égoïsme, mais par lucidité. Faire un enfant n’est plus un automatisme générationnel, mais un acte politique, presque philosophique. Antoine et Mila, 26 et 27 ans, couple sans enfant, ont fait leur choix.
La planète, disent-ils, pèse plus dans la balance que les discours natalistes. « On ne veut pas être parents dans un monde où la moitié du pays sera en restriction d’eau l’été. Ce n’est pas un refus militant, c’est du réalisme. »
L’écoanxiété a envahi les consultations psychiatriques, les conversations d’oreiller et les tables de bar.
La question n’est plus seulement “veux-tu des enfants ?”, mais “dans quel monde tu veux les faire naître ?”.
L’immigration, une obsession française, une réalité plus complexe
À chaque crise démographique, certains politiques agitent l’immigration comme une menace, d’autres comme une solution. Dès que la natalité baisse, le débat dérape. Entre “grand remplacement”, et “maintien du niveau des retraites”, les étrangers deviennent variables d’ajustement, comme si une population se gérait comme un tableau comptable. La vérité c’est qu’une société vieillit moins vite quand elle accueille, mais cela n’a jamais suffi à compenser une natalité en chute libre. Et réduire les étrangers à de simples “bras pour financer les retraites” est aussi absurde que réduire les femmes à “des ventres pour produire des futurs cotisants”.
Aïcha, 34 ans, prof d’anglais à Marseille, n’en peut plus : « les politiques fantasment l’immigration comme solution miracle. Mais on ne compensera jamais l’effondrement démographique tant qu’on dégrade les conditions de vie des jeunes femmes. C’est toujours sur nous que retombe la pression.”
Erosion de la fertilité
À cela s’ajoutent les inquiétudes liées à la fertilité. Spermatozoïdes en berne, perturbateurs endocriniens, stress, pollution : le corps parle, ou plutôt il se tait. Faire un enfant est un projet de plus en plus fragile, pas seulement une affaire de volonté. Mais la société continue à parler bébé comme on parle de “stocks”, sans regarder la réalité biologique des couples.
Le ministère de la Santé le reconnaît : la fertilité chute, la parentalité recule. Métros bondés, contrats courts, horaires fractionnés, pollution, burn-out, charge mentale… Une génération entière avance avec un sac de pierres sur l’épaule, et parfois dans les bourses, pour ne pas dire les couilles.
Anaïs, trentenaire parisienne, résume tout : « un enfant, ce n’est pas un bonus vital pour les comptes publics. C’est un projet de vie. Et aujourd’hui, la vie qu’on nous propose ne donne pas envie de transmettre quoi que ce soit. »
La crise de la natalité n’est pas une crise des désirs : c’est une crise des conditions. On ne fait pas des enfants parce qu’un ministre le demande. On en fait quand on a un toit, un salaire, une crèche, un climat viable, un avenir.
Le jour où la France comprendra que la politique familiale commence par la politique tout court, le baby-crash cessera peut-être d’être un mystère. En attendant, les jeunes femmes ont tranché : leur ventre n’est pas une politique publique. Les femmes n’ont pas à sauver le pays. C’est au pays de se rendre vivable.
Sources :
Rapport du Ministère de la Santé sur la fertilité
Les prénoms ont été changés à la demande des personnes interviewées.


