Plus de 8 femmes sur 10 disent que la fatigue du travail pèse sur leur vie privée. Une nouvelle enquête de l’Ined, révèle l’ampleur des tensions entre vie professionnelle et familiale. © J Kamel

Quand le boulot flingue la vie privée

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L’Ined tire la sonnette d’alarme, ou plutôt le réveil, celui qui sonne trop tôt. Huit femmes sur dix avouent que leur travail vampirise leur vie perso. Entre mails du soir, burn-out du matin et “télétravail” façon crèche à domicile, la frontière entre vie pro et privée s’est dissoute dans le café froid des open spaces. Enquête au cœur d’une société épuisée où concilier emploi, enfants et vieillards dépendants relève du parcours du combattant… sans armure ni RTT.

“Je bosse, donc je fuis”

Bienvenue dans la France de 2025, pays des “équilibristes du quotidien”. Ils bossent, élèvent, soignent, dorment peu. Et surtout, elles. Car selon la dernière étude Population & Sociétés de l’Ined, 85 % des femmes et 78 % des hommes déclarent que leur boulot déteint sur leur vie perso. Traduction : le taf les bouffe, littéralement. Le soir, pas de yoga, pas de roman, pas même de tendresse, juste le cerveau en veille, la boîte mail en embuscade et les enfants qui réclament la version 25 de “Petit Ours Brun range ses jouets”.

“Le soir, je n’ai plus rien à donner. Ni à mes gosses, ni à moi. Mon cerveau reste au bureau, mon corps fait le service minimum”, lâche Sabrina, 39 ans, cadre dans la com’, mère de deux enfants.
“J’ai l’impression de vivre ma vie en mode brouillon permanent.”

Le trio de chercheurs, Roméo Fontaine, Ariane Pailhé et Delphine Remillon, a plongé dans 41 000 questionnaires, histoire de radiographier la grande fatigue française. Verdict : le travail rend crevé, la famille rend coupable, et l’État, lui, regarde ailleurs.

Les mères solo : soldats sans grade

Les plus exposées ? Les mères seules, ces Wonder Women sans cape, qui cumulent job à temps plein, maternité non-stop et paperasse sociale kafkaïenne. L’enquête montre que 30 % des parents d’enfants de moins de six ans se sentent à la limite de la rupture, contre 19 % de ceux sans marmaille. Et pour les aidants, ces fantômes du care qui s’occupent d’un parent dépendant, c’est 26 % qui craquent. Mais allez expliquer ça à un manager qui trouve que “le télétravail, c’est déjà un privilège”.

“Je dépose ma fille à la crèche à 8h, je la récupère à 18h30, rincée. Et on me demande encore de ‘donner le meilleur de moi-même’. Le meilleur, je l’ai laissé au RER B”, raconte Nadia, 34 ans, vendeuse à temps plein.

Et pour les aidantes, ces fantômes du care qui s’occupent d’un parent dépendant, c’est 26 % qui craquent.

“Je m’occupe de ma mère tous les soirs après le boulot. Mon chef me félicite pour mon ‘sens de l’engagement’. Il n’a pas compris que je n’en ai plus”, souffle Claire, 52 ans, infirmière libérale.

Le travail, ce “privilège” qui rend malade

Les chiffres parlent : travailler plus de 45 heures par semaine, c’est 35 % de risque de tension élevée entre vie pro et vie perso. Et pour ceux qui se vantent de “ne jamais décrocher”, l’Ined rappelle gentiment que la mauvaise conciliation triple les risques de se dire en mauvaise santé. Trois fois plus de fatigue, trois fois plus de nuits blanches, trois fois plus de chances de finir en miettes.

La bonne nouvelle ? Oui, il y en a une. L’étude montre que les joies familiales dopent aussi la motivation au boulot, quatre répondants sur cinq le disent. Mais encore faut-il avoir le temps de les vivre, ces joies, entre un PowerPoint à rendre et un doudou perdu.

“Je dors quatre heures par nuit. J’ai arrêté de me maquiller, j’ai arrêté de rire. J’ai même arrêté de rêver”, confie Élodie, 45 ans, consultante indépendante.

L’illusion du “tout-conciliable”

Dans les discours corporate, on parle de “work-life balance”, d’“épanouissement” et de “flexibilité”. Dans la vraie vie, la flexibilité, c’est souvent celle du dos qu’on se tord à force de cumuler.
La fameuse “autonomie horaire” évoquée par l’Ined reste un luxe réservé à ceux dont le chef sait épeler le mot “confiance”. Pour les autres, c’est la routine : métro-boulot-parentalité, sans passer par la case repos.

“Je bosse depuis chez moi deux jours par semaine, mais je passe ma pause déjeuner à plier du linge et vérifier les devoirs. C’est pas du télétravail, c’est du télé-ménage”, ironise Mélanie, 42 ans, RH dans une PME.

Et après ?

Les chercheurs notent que ces tensions ne font pas baisser les envies d’enfants, mais poussent plutôt à rêver d’un autre boulot. Ironie du sort : changer de taf, c’est souvent replonger dans le même cycle, ailleurs, avec une autre machine à café.

“On nous vend l’émancipation par le travail. Mais si c’est ça, je préfère la liberté par la sieste”, tranche Sophie, 31 ans, graphiste freelance.

Alors, que faire ?

L’Ined appelle à repenser les conditions d’emploi, plus que les discours égalitaires. Parce qu’au fond, le vrai clivage, ce n’est plus “hommes vs femmes”, mais ceux qui peuvent aménager leur temps, et ceux que le temps dévore.

Les Trente Glorieuses ont inventé le plein-emploi, les années 2020 ont inventé le plein-stress.
On voulait “tout avoir”, carrière, couple, enfants, santé mentale, on a juste tout sur les bras.
Le progrès, paraît-il.


Plus d’infos :

Étude complète dans Population & Sociétés n°637, octobre 2025 : “Tensions entre vie privée et vie professionnelle : qui sont les plus exposés ?” Par Roméo Fontaine, Ariane Pailhé et Delphine Remillon.

Ined

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Observatrices curieuses et infatigables, Rapporteuses racontent le monde qui les entoure avec un regard à la fois précis et espiègle. Du glamour des soirées parisiennes aux coulisses des affaires, de la culture aux nouvelles tendances, elles parcourent la ville et le monde pour capter les histoires, les personnages et les mouvements qui font l’actualité. Toujours sur le terrain, elles mêlent rigueur journalistique et sens du récit, pour offrir aux lecteurs des portraits, enquêtes et chroniques à la fois informatifs et captivants.
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