Venue présenter son livre L’Espoir en acte. Le courage de diriger, chez Flammarion, Sanna Marin débarque dans un paysage français curieux et admiratif. L’ex-icône pop de la social-démocratie nordique parle de leadership, d’Europe et d’usure du pouvoir. Mais derrière la success-story de son élection, la Finlandaise démonte l’illusion d’un pays égalitaire qui se donne des airs progressistes tout en réprimandant une femme qui danse trop librement.


À 39 ans, Sanna Marin n’est plus sous les ors de Kesäranta, la résidence officielle finlandaise où elle passa des nuits d’hiver à arbitrer la crise du Covid et à tracer la route de l’entrée de la Finlande dans l’OTAN, mais elle demeure un objet de curiosité et de débat.
Dans The New Yorker, qui a publié de nombreux extraits de ses Mémoires, le 6 octobre, l’ex-Première ministre qui a qui fait trembler le patriarcat nordique raconte le prix payé, les nuits sans sommeil, le débat permanent, et cette injonction paradoxale : être exemplaire tout en étant accessible, forte, douce courageuse, mais pas trop joyeuse. Elle raconte le leadership, la pression, ses erreurs aussi, mais surtout, le prix du pouvoir pour les femmes.
Histoire d’un leadership « normal » qui dérange
Dans son ouvrage, Sara Marin revient avec une franchise rare sur le prix à payer : “la décision, la responsabilité, la fatigue, la lecture impitoyable des médias internationaux“. C’est cette capacité à “vouloir vivre en dehors du costume d’État” qui a souvent nourri autant l’admiration que la polémique.
Elle évoque de “normaux” rendez-vous : “aller en soirée, être une mère, et exercer un pouvoir politique sans renier sa vie personnelle“. C’est précisément cette banalité revendiquée qui, en Finlande et au-delà, a été interprétée comme un affront à l’image traditionnelle du pouvoir.
Quand elle raconte qu’elle a dû prouver qu’elle n’était pas sous influence de drogue, test à l’appui, après un simple marathon de danse, c’est le rappel cinglant qu’en politique, une femme doit sans cesse prouver qu’elle est « adulte », « responsable », « digne », comme si le pouvoir au féminin était toujours en période d’essai.
Sexisme, scrutin public et nouvelles narrations
Quand elle accède au pouvoir à 34 ans, la plupart de ses homologues masculins n’ont même pas terminé leur premier réseau de think tanks. Elle, elle dirigeait un pays, un gouvernement de coalition, et prenait la décision historique d’entrer dans l’OTAN, et affrontait une pandémie mondiale. Ses détracteurs l’ont donc attaquée sur le terrain le plus facile : son âge, son corps, ses vêtements, ses soirées. Tout, sauf sa politique.
Mais deux ans après son entrée en fonction, des vidéos d’elle se trémoussant dans un débardeur noir en dentelle ont circulé sur Internet, et une autre vidéo a ensuite fait surface la montrant en train de danser de manière suggestive dans une boîte de nuit avec un homme qui n’était pas son mari. Des dizaines de plaintes auraient été déposées, alléguant que le comportement de Sanna Marin a porté atteinte à la « réputation et à la sécurité » de la Finlande.
Avec une honnêteté presque impudique, Sanna Marin raconte la haine, les insultes, les menaces de viol, ce bruit de fond permanent que toute femme visible connaît, mais que toute femme dirigeante amplifie à grande échelle. Elle raconte aussi l’épuisement : celui de devoir justifier ce que les hommes n’expliquent jamais, la tenue, le sourire, la fatigue, le divorce, ces fameuses soirées filmées. Même si l’épisode ne relevait nullement d’un acte politique, ce sont les doigts pointés sur ces vidéos, et parfois la déformation de ses gestes, qui la renvoient à un débat plus profond sur ce que doit être “une femme au pouvoir” aujourd’hui.
Le chancelier de la Justice, Tuomas Poysti, met heureusement fin aux débats en concluant que la Première ministre n’avait pas négligé ses devoirs. « Il n’y avait aucune raison de soupçonner la Première ministre d’agissements illégaux dans l’exercice de ses fonctions ou de négligence dans l’accomplissement de ses devoirs officiels », a-t-il déclaré à l’issue d’une enquête officielle”.
Depuis sa démission forcée par les élections de 2023, Sanna Marin n’est plus dans l’arène parlementaire mais dans une sorte de zone hybride, quelque part entre conseillère stratégique au Tony Blair Institute for Global Change et figure populaire contestée.
À la fin du livre, une phrase résume tout : « La question n’est pas de savoir si une femme peut diriger un pays. La question est de savoir combien d’obstacles on estime normal de placer devant elle. »
Sources :


