Le Parlement adopte définitivement le 18 décembre 2025, une loi réhabilitant les femmes condamnées pour avortement. L’Hémicycle de l'Assemblée nationale. © Instagram de L'Assemblée nationale

Avortement : la République réhabilite enfin les femmes qu’elle avait condamnées

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Elles ont été jugées, enfermées, exécutées parfois, au nom d’une morale d’État qui contrôlait les corps des femmes. Cinquante ans après la loi Veil, le Parlement réhabilite enfin ce jeudi 18 décembre 2025, celles qu’il avait condamnées pour avortement. Trop tard, dira-t-on. Mais assez fort pour rappeler une vérité simple : elles n’étaient pas des criminelles, c’est la loi qui l’était.

Il aura donc fallu un demi-siècle pour que la République admette l’évidence. Jusqu’à l’adoption de la loi portée par Simone Veil, l’avortement constituait un délit, parfois un crime. Pendant des décennies, elle a puni des femmes pour avoir refusé une grossesse imposée. Des milliers de femmes furent poursuivies, condamnées, emprisonnées. Elle a transformé des mères en délinquantes, des soignantes en criminelles, des survivantes en coupables. Certaines y laissèrent leur santé, d’autres leur vie. Aujourd’hui, elle réhabilite, quand hier elle condamnait. Mais derrière les chiffres, il y a des noms, des trajectoires, des histoires que la loi entend désormais faire sortir de l’ombre.

Parmi ces vies broyées, il y a Michèle Chevalier, condamnée en 1972 pour avoir aidé à avorter, Marie-Claire Chevalier, sa fille de 16 ans, qui avait été violée. La justice de l’époque ne retint ni l’âge de la victime, ni les circonstances de la grossesse. Elle poursuivit la mère pour assistance à avortement, appliquant strictement une loi qui ne reconnaissait ni la violence subie, ni la détresse sociale. Le cas Chevalier illustre ce que furent, jusqu’au début des années 1970, des décisions judiciaires où la lettre du droit primait sur toute considération humaine.

Trente ans plus tôt, la répression avait pris une forme encore plus radicale. Marie-Louise Giraud, veuve et mère de famille, pratiquait des avortements clandestins dans la Normandie occupée. En 1943, sous le régime de Vichy, l’avortement est qualifié de crime contre l’État. Marie-Louise Giraud est guillotinée. Elle demeure la seule femme exécutée en France pour avoir pratiqué des avortements. Son exécution, longtemps reléguée au rang de fait divers, est aujourd’hui analysée comme une peine exemplaire, à la fois politique et idéologique, inscrite dans une logique nataliste et répressive. Ces noms ne sont pas des exceptions. Ils sont la règle d’un système qui a criminalisé la liberté reproductive et réservé la clandestinité aux pauvres, pendant que les autres plus aisées, prenaient le train, l’avion. Une justice de classe, doublée d’une justice patriarcale.

Et heureusement que face à cette machine impitoyable, une femme a refusé de baisser la voix : Gisèle Halimi, avocate et combattante. Le combat mené par Gisèle Halimi occupe une place centrale. Avocate, elle transforme les prétoires en tribunes publiques. En 1972, lors du procès de Bobigny, elle défend Marie-Claire Chevalier. Sa stratégie est assumée : ne pas plaider l’exception, mais contester la loi elle-même. Le procès marquera un tournant dans l’opinion, et précipite l’ouverture du débat politique qui conduira, trois ans plus tard, à la dépénalisation de l’IVG portée par Simone Veil.

Mais les condamnations, elles, restent, inscrites au casier. Gravées dans la mémoire des familles, enterrées dans les archives judiciaires. Il aura fallu attendre 2025 pour que l’État consente à reconnaître ses torts. Ce texte, salué comme un acte de justice historique, ne verse pourtant pas dans l’illusion. Il ne promet pas de compensations financières, pour ses auteurs comme pour ses détracteurs, la réparation pécuniaire reste un débat ouvert, un angle mort que certains jugent incompatible avec l’esprit de la mesure, d’autres estiment indispensable. Mais il acte une reconnaissance symbolique et prévoit la création d’une commission chargée de recueillir les témoignages et d’assurer la transmission de cette mémoire. Et il aura surtout l’avantage de réécrire le récit national. Dire que ces femmes n’étaient pas hors-la-loi, mais en avance sur leur temps. Qu’elles n’étaient pas coupables, mais lucides, et qu’elles n’ont pas défié la société, mais survécu à sa violence.

À l’heure où le droit à l’avortement recule dans d’autres pays, et où le corp des femmes redevient des champs de bataille politiques, cette réhabilitation sonne comme un avertissement. Les droits des femmes ne sont jamais acquis, il suffit d’écouter les féministes, les vraies.

Sources :

Assemblée Nationale

Vie Publique

Questions constitutionnelles

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