Alanis, 24 ans, l’autre visage de la santé. Athlète du CA Montreuil, soignante des corps blessés, elle soigne là où la Sécu ne va pas. © DR

Alanis, 24 ans : l’enseignante APA qui remet les corps oubliés en mouvement

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Rédaction Rapporteuses
Observatrices curieuses et infatigables, Rapporteuses racontent le monde qui les entoure avec un regard à la fois précis et espiègle. Du glamour des soirées parisiennes aux...
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Revenue du Texas avec un master en Promotion de la Santé à la Southern Methodist University à Dallas, une foulée affûtée et une détermination qui ferait rougir n’importe quel ministre de la Santé, Alanis Robineau Fauvey, 23 ans, athlète de haut niveau, entrepreneure malgré elle, enseignante en activité physique adaptée, a monté son auto-entreprise.

Alanis Robineau Fauvey, le 3 mai 2024 Southern Methodist University à Dallas, pour la remise de son Master de Promotion de la Santé. © DR

Une jeune femme déterminée qui bosse à domicile, pour emmener vers le mouvement ceux que le système oublie : personnes âgées, malades chroniques, patients atteints de handicaps sévères, femmes enceintes ou en post-partum. Après avoir travaillé pendant deux années sur des projets de santé publique, d’épidémiologie, et de prévention à grande échelle, elle est convaincue d’une chose : peu importe où vous en êtes, il est toujours possible de bouger et de se sentir mieux. Entre son rêve d’athlète mondiale et la réalité d’un métier vital mais non remboursé, elle raconte les coulisses d’un engagement qui remet l’humain au centre de la santé.

Rapporteuses : Tu choisis de revenir du Texas, diplôme en poche et piste rapide, pour sillonner dans le 94 et à Paris. Qu’est-ce qu’on trouve ici qu’on ne trouve pas là-bas ?

Alanis Robineau Fauvey : Je dirais la qualité de vie en général. Pour résumer, on va dire que là-bas, c’est grand, gros, beaucoup. Ici, c’est plus petit, mais plus quali. Côté social, les relations ne sont pas les mêmes. J’ai fait des rencontres incroyables et j’ai de vraies amies américaines, mais au quotidien les personnes que l’on rencontre au travail, que l’on croise dans un magasin sont plus superficielles. Même quand ça ne va pas, on vous fera le plus grand sourire et le meilleur compliment. Ici on va dire qu’on fait moins semblant et à vrai dire, ça use de l’énergie de devoir fausser les émotions ! Cela étant, ce n’est pas une généralité, et ça peut aussi avoir son avantage. Mais moi, ce côté me manquait quand même.

Rapporteuses : On dit que l’activité physique est “un médicament”. Comment expliques-tu que tes séances, pourtant prescrites par la science, ne soient pas remboursées par la Sécu ?

A.R.F. : Ah ça, l’AP c’est le remède numéro 1 pour prévenir les maladies et maintenir une bonne santé. Je ne dis pas que si on fait de l’AP on ne tombe pas malade, mais le risque est clairement diminué et ce n’est pas la science qui manque de le prouver … mais ce que je fais reste un acte de prévention. En France il n’y a pas assez d’argent pour cette prévention. Ou alors, on veut tout simplement pas en investir. On préfère rembourser les actes curatifs. S’il y avait plus d’investissements dans ce domaine, on éviterait de nombreuses vies détruites par ces maladies et accessoirement pour l’État moins de dépenses pour les soins curatifs…

Je pratique du sport depuis toute petite, j’ai été élevée dedans donc mon identité s’est construite à travers ce monde depuis ma naissance.

Alanis Robineau Fauvey

Rapporteuses : Quand tu arrives chez quelqu’un atteint d’un AVC, d’un cancer, ou d’un handicap sévère, qu’est-ce que tu vois d’abord : un patient, un sportif en sommeil, ou une histoire qui tremble encore ?

A.R.F. : Ça va dépendre du type de profil. Je ne peux pas dire que la personne âgée de 90 ans qui fait du sport sur chaise pour s’entretenir c’est une sportive en sommeil, mais j’ai tellement de patients avec lesquels je débute chez qui je découvre des qualités physiques et sportives solides ! Alors oui, au début je fais un bilan de santé physique et je prends connaissance de l’histoire qui tremble comme tu dis. Mais après le bilan je ne vois pas la personne à travers sa maladie ou son handicap. C’est juste un patient qui vient juste pratiquer son sport et qui ne doit pas être toujours associé à ce qu’il/elle traverse. Quand je parle de quelqu’un que je suis, j’aime bien dire « patient » car je reste dans un cadre axé santé. Donc pour répondre à la question, c’est peut-être un peu des trois. Ils sont tous des patients, avec des histoires différentes et des raisons de pratiques différentes !

En France il n’y a pas assez d’argent pour cette prévention. Ou alors, on veut tout simplement pas en investir. On préfère rembourser les actes curatifs.

Alanis Robineau Fauvey

Rapporteuses : Dans ta pratique, c’est quoi le geste qui te bouleverse à chaque fois, même après des dizaines de séances ?

A.R.F. : La différence entre le moment où j’arrive chez le patient et le moment où je repars. Quand je termine une séance, le visage est plus apaisé et souriant et je vois à quel point cette heure a pu faire du bien que ce soit grâce aux endorphines de l’AP, mais aussi par les échanges pendant nos séances car on parle beaucoup en général.

Un autre qui me bouleverse mais pas dans le sens positif c’est voir certain(e)s mettre cet investissement financier dans nos séances alors que je sais que c’est compliqué pour elles. D’un côté, ça me prouve que mes séances leur font vraiment du bien car sinon elles auraient arrêté depuis longtemps.

Rapporteuses : Tu travailles avec des publics que la société préfère planquer derrière des portes automatiques : EHPAD, pathologies lourdes, isolement. Qu’est-ce que tu comprends du monde à travers eux ?

A.R.F. : Ce sont des personnes mises à l’écart car elles sont différentes de ce que la société veut nous montrer. Elles demandent des aménagements (matériels, sociaux…) dans la vie quotidienne qui peuvent engendrer du temps et de l’argent et la société préfère aller au plus vite et au plus productif…

Derrière cette barrière sociale, ces personnes restent discrètes, ont du mal à se faire entendre ou tout simplement n’ont même pas la force de se battre. Je comprends à travers eux qu’en fait, c’est ça la vraie vie. On vieillit tous, on peut tous tomber malades un jour et devenir « différents » de cette « normalité ». Certain(e)s patient(e)s me racontent des situations dans lesquelles ils/elles se font humilier due à leurs handicaps, pathologies ou autre… C’est leur quotidien et aujourd’hui ils/elles sont là à devoir se battre contre la maladie mais aussi à se battre contre le regard mal placé des autres parce qu’elles sont « différentes ». C’est ça le vrai courage.

Rapporteuses : Ton père parle de “difficultés silencieuses” : fatigue, blessures, solitude, angoisse de te lancer si jeune. C’est quoi l’envers du décor quand on mixe carrière sportive et entreprise solo ?

A.R.F. Quand je me suis lancée à mon compte, je ne savais pas si ça allait fonctionner. Personne ne me connaissait, je n’avais pas de patients et j’avais un loyer à payer derrière. Au début, il faut accepter d’avoir moins de travail, d’investir du temps et de l’argent dans des choses qui ne rapportent pas encore et c’est dur. Je culpabilisais de ne pas faire les 35 heures par semaine comme mon entourage de ne pas gagner beaucoup d’argent.

Étant anxieuse d’origine, tout ça se traduit par de la culpabilité et une peur constante de ne pas pouvoir assumer derrière… C’est de la fatigue mentale et du stress permanent, qui s’ajoutent à la fatigue liée à l’entrainement intensif de l’autre côté. Sport, fatigue, stress ne font pas bon ménage donc forcément on peut payer derrière en se blessant car le corps est juste fatigué et ne récupère pas comme il le devrait.

Certain(e)s patient(e)s me racontent des situations dans lesquelles ils/elles se font humilier due à leurs handicaps, pathologies ou autre…

Alanis Robineau Fauvey

Rapporteuses : Est-ce qu’il y a un moment où tu t’es dit : “j’arrête tout”, et un autre où tu t’es dit : “c’est exactement là que je dois être” ?

A.R.F. : “c’est exactement là que je dois être”, oui. Je fais un métier à travers lequel je me sens très utile. Cette sensation de rendre les gens mieux dans leur corps et dans leur esprit, il n’y a rien de mieux. Franchement la majorité du temps après chaque séance je me dis wow c’est trop bien de faire ça. Et puis, le fait d’être à mon compte me permet d’aménager mon emploi du temps à ma pratique de l’athlétisme qui me demande aussi beaucoup de temps et d’énergie, donc c’est génial.

D’un autre côté ce n’est pas totalement être libre, il y a des choses différentes que je dois gérer et qui peuvent créer beaucoup de charge mentale en plus. Je dois aussi accepter que tout puisse changer à la dernière minute car je dépends de mes patients. Je travaille pour un public fragile donc je dois accepter le fait que certaines séances soient annulées au dernier moment. Je ne me suis jamais dit « j’arrête tout » mais cette instabilité et insécurité à travers laquelle je pratique créent beaucoup d’anxiété chez moi. Les déplacements à domicile sont aussi coûteux énergiquement, c’est sûr que je ne fonctionnerai pas comme ça très longtemps.

Et puis, le fait d’être à mon compte me permet d’aménager mon emploi du temps à ma pratique de l’athlétisme qui me demande aussi beaucoup de temps et d’énergie, donc c’est génial.

Alanis Robineau Fauvey

Rapporteuses : Le sport, pour toi, c’est un terrain, une thérapie, une identité, ? Ou les trois à la fois ?

A.R.F. : Je pratique du sport depuis toute petite, j’ai été élevée dedans donc mon identité s’est construite à travers ce monde depuis ma naissance. C’est aussi mon terrain, à moi, le soir quand j’ai fini de travailler où je vais m’exprimer et où je teste mes limites. Et bien sûr, il y a ce côté « thérapie » : c’est mon équilibre, ça me permet de me canaliser et de ne penser à rien d’autre. Bien sûr il y a aussi le fait d’appartenir à un groupe et de pratiquer, partager cette passion avec des personnes que l’on voit plus que sa propre famille. Parfois on arrive fatigués, de mauvaise humeur, on a la flemme clairement il faut le dire mais le fait de se retrouver ensemble, de rire, d’être tous un peu dans la même fatigue, on en rit et après ça passe tout seul, on change de change d’énergie, et on se sent bien d’un coup. Donc ouais, c’est clairement une super thérapie !

Rapporteuses : Tu accompagnes des femmes enceintes et des femmes en post-partum, souvent peu entendues. Qu’est-ce qu’elles t’apprennent sur le corps, la force et la fragilité ?

A.R.F. : Les femmes enceintes sont un profil avec qui j’accroche énormément. Il y a beaucoup d’idées reçues comme quoi on ne peut pas faire de sport pendant la grossesse et qu’il faut tout arrêter pour éviter tout risque. Mais au contraire, il faut continuer de pratiquer une AP, le corps change et a besoin d’être musclé notamment au niveau des lombaires pour pouvoir assumer le ventre qui grossit, pour assurer le bon développement du fœtus il faut garder une activité cardio, et tout simplement pour le bien-être général de la maman. C’est sûr que plus on s’approche de l’accouchement, plus ce sera doux. Mais pour moi ce n’est pas un corps fragile, c’est juste un corps qui a besoin d’adaptation car il est en train de créer une vie !

En post partum c’est différent, j’ai le droit aux séances avec le bébé dans le berceau ou qui rampe partout dans la maison pendant notre séance pendant que maman essaie de prendre une heure pour elle dans sa journée ! Cette période de reprise du renfo est cruciale pour la maman car pendant la grossesse tous les muscles se sont étirés. Dans ce cas, je vais axer les séances sur le renforcement du périnée dû à l’accouchement et un travail d’étirements profonds pour les muscles du dos et des bras car elles portent tout le temps le bébé.

J’apprends de ces mamans un courage incroyable quand je les vois tenir debout malgré des nuits de 5h en fractionné. Là, le corps a été fragilisé parce qu’il a donné une nouvelle vie mais en reprenant l’AP sérieusement et doucement, il n’y a pas de raison qu’il redevienne fort comme il l’était.

Rapporteuses : Tu cours pour aller loin, mais tu travailles au plus proche. Dans dix ans, tu te vois où : sur un podium, dans un cabinet médical, ou dans un combat politique pour la reconnaissance de l’activité physique adaptée ?

A.R.F. : une chose est quasi sûre, c’est que j’ai une passion pour le sport, la santé et la science en général. J’aime travailler au contact des gens et surtout avoir le sentiment d’être utile. La course à pied c’est ma passion et je continuerai toute ma vie en me fixant des objectifs peut être différents au fur et à mesure des années. Côté profession, c’est sûr que j’opterai pour quelque chose de plus stable, mais il est très probable que cela reste dans le domaine de la santé. Dans un combat politique pour la reconnaissance de l’activité physique adaptée, alors ça oui pourquoi pas !! Mais dans 10 ans, c’est long… D’ici là je croise les doigts pour que ce soit déjà fait !

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