Grace Van Dien (Franny) et Troy Leigh-Anne Johnson (Billie) dans "Silver Star", de Ruben Amar et Lola Bessis. © Wayna

Silver Star, le road-movie à fleur de peau de l’année

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Rédaction Rapporteuses
Observatrices curieuses et infatigables, Rapporteuses racontent le monde qui les entoure avec un regard à la fois précis et espiègle. Du glamour des soirées parisiennes aux...
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Silver Star, sortie le 26 novembre, c’est un coup de pied douloureux, nécessaire dans les plaies ouvertes de l’Amérique périphérique. Réalisé par Ruben Amar et Lola Bessis, filmé en anglais, produit en partie depuis la France, le long métrage trace la trajectoire de deux âmes cabossées, Billie et Franny, dans un périple brut, émouvant, et sans concession.

Billie (Troy Leigh-Anne Johnson), afro-américaine, garçon manqué, borgne, marquée par l’enfermement et la violence policière, revient de prison. Son rêve de redressement s’effondre quand la maison familiale est menacée. Dans un geste de désespoir, la jeune femme braque une banque, le plan tourne mal. Billie prend en otage Franny (Grace Van Dien, aperçue dans Stranger Things), une jeune femme de 18 ans enceinte, elle aussi au bord du gouffre. Et voilà un des films de l’année, Silver Star, décrit comme un « road-movie féministe » porteur d’énergie, où le duo Billie–Franny, d’abord en tension, devient tout le long un duel de sororité, ce qui, dans le contexte de l’Amérique de Trump, sonne comme un petit miracle. On pourrait croire que Grace Van Dien surgit de nulle part, mais elle arrive avec un arbre généalogique qui pourrait remplir à lui seul une encyclopédie du cinéma américain. Fille de Casper Van Dien, le soldat galactique de Starship Troopers, elle a aussi grandi sous l’ombre lumineuse de Carrie Mitchum, petite-fille du monumental Robert Mitchum, l’acteur avec la fameuse fossette au menton qui fit fondre des générations de cinéphiles.

Le road-movie féministe, version brute

Silver Star c’est le portrait d’une Amérique fracturée, par la pauvreté, la désillusion, les abandons, et où les deux protagonistes en sont les enfants perdus. Ici le road-movie n’est pas un genre : c’est une arme. La route, d’habitude royaume des cowboys en quête d’espace, devient un territoire de femmes qui n’ont jamais eu droit à l’aventure, seulement aux restes, au danger, aux couloirs étroits des institutions. Ruben Amar et Lola Bessis renversent ce mythe viril, le volent, le retournent, le pillent même, comme cette scène où Billie braque une banque par nécessité.

Le récit ne glorifie ni la transgression, ni la cavale, mais observe ce qui pousse deux femmes à fuir. La violence économique, l’absence de filet de sécurité, la solitude sociale, et cette incapacité structurelle du système américain à protéger les plus vulnérables. Billie, jeune femme noire, sort de prison en porte-à-faux avec tout. Franny, blanche, enceinte, coincée dans une vie qui n’en est presque plus une. Leur rencontre n’a rien d’un hasard romanesque, c’est le croisement de deux destins foutus comme tant de trajectoires féminines sacrifiées. Sur la route, pourtant, quelque chose se tisse, un espace d’écoute, une zone tampon où aucune des deux n’est jugée, ni sommée de se justifier.

Ruben Amar et Lola Bessis Français, signent un film qui pourrait être inspiré de la saga de l’Amérique mais qui appartient à un cinéma d’auteur sensible, rugueux, radical dans sa tendresse. Leur regard cisèle l’intimité, la caméra colle, mais ne lâche pas. Gros plans, cadres serrés, plan mobile, quand le paysage se retire, ce sont les visages, les silences, les hésitations. Et dans la fuite, l’amour improbable mais nécessaire surgit, fragile, maladroit, mais vrai.

Une cavale filmée… par une femme enceinte de sept mois

Lola Bessis, co-réalisatrice et co-scénariste du film, portait elle-même la vie. Sept mois de grossesse sur un tournage en bagnole, en chaleur, en tension permanente, ça ne s’improvise pas. C’est même un geste politique à part entière. On imagine volontiers que le film tient de sa condition : cette façon de filmer au plus près, de respirer avec les comédiennes, de capter les tremblements, les doutes, les élans. Rien de théorique : Bessis tourne en état d’urgence, avec un corps qui vit exactement ce que traverse Franny dans le scénario, la fragilité, l’instinct, la protection, la peur de l’après.

Une femme enceinte derrière la caméra, deux femmes en fuite devant, et entre elles un film qui bat comme un cœur, pas étonnant que Silver Star soit traversé d’une énergie viscérale. Bessis ne dirige pas seulement une histoire : elle l’habite, elle la porte littéralement.

Sur le plateau, raconte l’équipe, “son ventre devenait presque un symbole : celui du film lui-même, fragile et combatif, impossible à arrêter“. Là où Hollywood aurait mis des cascadeurs, des assurances, une armée de doublures, Silver Star se fabrique à la main, avec la force tranquille d’une réalisatrice qui refuse de laisser sa maternité la détourner de son cinéma.

Et si le film serre autant la gorge, c’est peut-être parce qu’il a été créé dans cette tension vitale : raconter deux femmes qui prennent la route pour sauver ce qui peut l’être… pendant qu’une troisième avançait sur sa propre route, la plus intime de toutes.

Thelma & Louise ? Oui, mais sans le mirage hollywoodien

Certains critiques, ont fait la comparaison avec Thelma & Louise. C’est vrai qu’il y a la cavale, la voiture qui file droit vers un ailleurs incertain, deux femmes que tout semblait condamner et que la route finit par libérer, mais la parenté s’arrête là. Silver Star n’a rien du vernis pop et solaire du film de Ridley Scott. Amar et Bessis, deux Français qui grattent l’Amérique mieux que beaucoup d’Américains, cassent le mythe plutôt qu’ils ne l’honorent. Billie et Franny ne cherchent pas la flamboyance mais la survie, pas la liberté en Cinémascope, mais un peu d’air pour passer la nuit.

C’est là que Silver Star s’émancipe vraiment de Thelma & Louise. Il n’y a pas de posture héroïque, pas de glamour désespéré. Le film se situe dans l’anti-mythe. Les héroïnes ne veulent pas « échapper à l’homme », elles veulent échapper à la misère, à l’oubli, à l’étau d’une société qui les a déjà condamnées. Elles ne cherchent pas un horizon : elles cherchent une minute de répit, un souffle, une direction. Pas de voiture qui se jette dans le canyon rougeoyant, avec un grand final iconique, seulement deux filles cabossées lancées sur une route qui ne promet rien, sinon la possibilité fragile de se relever.

Silver Star a surtout des sœurs de cinéma, des cousines, des ascendantes. Pas des modèles, mais plutôt des fantômes bienveillants qui lui soufflent une certaine façon de regarder l’Amérique.

Le film le plus proche, serait Wendy and Lucy de Kelly Reichardt. Même attention microscopique aux gestes, même refus du spectaculaire, même Amérique vidée de ses mythes. Chez Reichardt, Michelle Williams cherche simplement à survivre, un chien pour seule boussole. Chez Amar et Bessis, Billie et Franny roulent vers nulle part, mais avec la même fragilité : la route est moins un espace d’émancipation qu’un endroit où l’on espère ne pas sombrer.

On pense aussi à American Honey d’Andrea Arnold, pour l’énergie brute, la caméra collée aux visages, la jeunesse cabossée qui traverse les États-Unis comme on traverse une vie : en miettes, en musique, en urgence. Comme Andrea Arnold, les deux réalisateurs français filment un pays depuis ses arrière-cours, ses bords, ses zones d’ombre, pas depuis ses icônes.

Enfin, il y a l’ombre de Winter’s Bone de Debra Granik. Là encore, une héroïne prise à la gorge par la pauvreté, une quête par défaut, une Amérique rurale qui n’a rien de bucolique. Billie partage avec Ree (Jennifer Lawrence) cette sorte de détermination silencieuse des femmes qu’on ne voit jamais dans les récits dominants : celles qui avancent parce qu’on ne leur laisse pas le luxe de s’arrêter.

A la rédaction, ce film ne nous a pas laissé indifférentes, tout simplement parce qu’il parle de femmes laissées pour compte, de leur survie, de leur rage, de leur combat, et parce qu’il le fait avec délicatesse et honneur. Pour nous, femmes, Journalistes, conteuses, c’est un miroir, celui de l’autre côté de l’Atlantique, avec d’autres luttes, d’autres douleurs, mais la même force obscure qui pousse à résister, à raconter, à exister.

Silver Star n’est pas un film facile, mais il est nécessaire. Il ne promet ni paradis ni rédemption flamboyante, seulement, un avenir moins précaire. À voir absolument, dès maintenant, pour la puissance de ses personnages, la vérité brute de sa mise en scène, la possibilité même d’un amour improbable sur la route de la survie, et surtout parce qu’ à deux, tout est possible.

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Observatrices curieuses et infatigables, Rapporteuses racontent le monde qui les entoure avec un regard à la fois précis et espiègle. Du glamour des soirées parisiennes aux coulisses des affaires, de la culture aux nouvelles tendances, elles parcourent la ville et le monde pour capter les histoires, les personnages et les mouvements qui font l’actualité. Toujours sur le terrain, elles mêlent rigueur journalistique et sens du récit, pour offrir aux lecteurs des portraits, enquêtes et chroniques à la fois informatifs et captivants.
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