Elle s’appelait Claudia Cardinale. Icône, muse, légende, et pourtant plus que ça : une femme cabossée, libre, indocile. Elle s’est éteinte le 23 septembre, à 87 ans, dans sa maison de Nemours. Le cinéma pleure une star, la France et l’Italie perdent une ambassadrice. Mais derrière l’image figée de la diva méditerranéenne aux yeux de braise, il y avait une trajectoire heurtée, marquée par un drame fondateur.
À 17 ans, victime d’un viol, elle tombe enceinte. Pas d’interruption possible dans l’Italie corsetée des années 50. Elle garde l’enfant, accouche en secret à Londres, et baptise son fils dans une petite église catholique. Patrick. Officiellement, c’est son frère. La légende du cinéma commence dans le mensonge et la survie. « J’ai tourné enceinte, personne ne s’en rendait compte », racontera-t-elle plus tard. La taille des robes et l’ombre des studios cachaient son ventre, mais pas le poids de la société sur ses épaules.
Ce scandale potentiel, Claudia l’a tenu à distance. Protégée, manipulée aussi, par le producteur Franco Cristaldi qui adopte l’enfant, épouse l’actrice et lui conseille de continuer à faire semblant. Pendant près de sept ans, Patrick est présenté comme le petit frère. Jusqu’à ce qu’elle finisse par lâcher la vérité à un journaliste. Entre-temps, sa carrière a explosé : Visconti, Fellini, Leone, tant de chefs-d’œuvre où elle incarnait la sensualité et la modernité, l’Italie dans toute sa splendeur et ses contradictions.
En 2017, dans Le Monde, Cardinale reconnaissait sans détour : « Je ne serais pas arrivée là si… la naissance de mon petit garçon, à la suite d’un viol, ne m’avait poussée à m’engager dans le cinéma pour gagner ma vie et être indépendante. C’est pour lui que je l’ai fait. » On est loin de l’image glamour d’Il Gattopardo. Derrière les projecteurs, il y a le prix des femmes dans une industrie qui, longtemps, a pris leurs corps avant de leur donner des rôles.
Son fils Patrick, elle ne l’a jamais quitté. Ils ont vécu dans la vérité retrouvée, malgré la blessure d’une enfance volée par le silence. Claudia Cardinale n’a jamais été une figure MeToo, mais elle en a porté les stigmates avant l’heure : emprise des hommes, secret imposé, carrière à protéger au détriment de la parole. Sa force aura été de transformer la violence subie en moteur d’indépendance.
Elle laisse deux enfants, Patrick, né de la tragédie, et Claudia, née en 1979 de son grand amour avec le cinéaste Pasquale Squitieri. Elle laisse surtout une empreinte indélébile sur l’écran et dans l’imaginaire collectif : une femme libre, combattante malgré tout, qui n’a jamais cessé de tourner le dos à la honte qu’on voulait lui imposer.
Ses obsèques auront lieu à Paris, le 30 septembre, en l’église Saint-Roch, ce sanctuaire du 1er arrondissement où tant de figures, Jane Birkin, Yves Saint Laurent, Annie Girardot, ont déjà eu leur dernier salut. Claudia Cardinale rejoindra ce panthéon discret, avant une incinération en famille. Le lendemain, un hommage sera rendu à Nemours, au Picardeau, la maison où elle avait choisi de finir ses jours, aux côtés de ses enfants et de la fondation qu’elle y avait créée.
Une étoile s’éteint, mais elle laisse derrière elle un sillage incandescent. Claudia Cardinale, c’était le cinéma. Mais c’était surtout la vie.