Malgré la fine pluie, ils faisaient la queue devant le Pathé Palace, Paris Opéra, comme pour un ultime rendez-vous avec le Thin White Duke. Un public bigarré, cheveux gris argent pour la plupart, Doc Martens noires et costumes trop sages. À l’occasion de la sortie du coffret David Bowie 6. I Can’t Give Everything Away (2002-2016), Warner avait organisé hier soir une projection-fresque, mi-docu, mi-veillée rock.
19h40, les lumières tombent sur l’écran du Pathé Palace. Pas un concert, mais presque : un montage d’archives, d’interviews et de clips qui rejoue Bowie comme une apparition continue, de l’ange androgyne au prophète crépusculaire.
Le film s’ouvre en couleur, sur un Bowie beau, avec un visage qui ressemble à celui de Tilda Swinton, et qui confie sourire carnassier qu’il déteste chanter, mais qu’il fallait bien que quelqu’un s’y colle. On passe aux images en noir et blanc, puis Bowie vieillissant, fragile mais magnétique. Extraits de clips, d’interviews de son producteur et ami Tony Visconti, et de scènes cultes. L’un des moments les plus frappants : The Next Day, clip christique avec Marion Cotillard et Gary Oldman, où Bowie se grime en prophète maudit. Autre choc visuel, Lazarus, tourné peu avant sa mort, Bowie en bandages, des boutons noirs cousus sur les yeux, ultime apparition d’un artiste qui avait fait de sa disparition une mise en scène.
20h35. Silence de cathédrale pour Atmos, titre inédit balancé en avant-première mondiale. Un morceau en apesanteur, respiration métallique, qui cloue la salle à son siège. Bowie continue de surprendre, neuf ans après son départ.
À 21h, la soirée change de tempo. RTL s’installe en direct pour un « Bonus Track » piloté par Éric Jean-Jean. Sur scène, Jérôme Soligny déroule souvenirs, détails de coulisses, éclats de Bowie vécu de près. Pas d’hagiographie sirupeuse, mais une parole précise, souvent drôle, parfois grave, surtout quand il évoque le premier amour de Bowie, et sa meilleure amie Coco.
Journaliste, musicien, proche de Bowie, Soligny a écrit sur lui comme d’autres écrivent des prières. Il signe ici un documentaire-hommage, où les mots et les images s’enlacent sans lourdeur.
On attendait Philippe Manœuvre, l’enfant du rock, pour poser sa voix râpeuse sur l’autel Bowie. Finalement, un SMS d’excuses lu par Soligny : le rock-critique avait d’autres riffs à gérer.
La reine Patti Smith, 78 ans au compteur et toujours debout comme un poing levé, donnait au même moment un concert intimiste au Bon Marché. Prestation quasi clandestine, quelques centaines de fidèles serrés sous les néons du grand magasin chic.
Le coffret, sorti aujourd’hui, contient 4 album qui vont de 2002 à 2016, et referme la boucle entamée en 2015 avec les Five Years. Douze CD, dix-huit vinyles audiophiles, un livre de 128 pages, et surtout un concert inédit de 31 titres au Montreux Jazz Festival, intégralement restitué. On y croise Heathen (2002), retour avec Tony Visconti après vingt-deux ans de silence commun ; Reality (2003), disque pensé pour la scène et qui donnera une des tournées les plus aimées de Bowie ; The Next Day (2013), enregistré dans le plus grand secret à Manhattan ; et bien sûr (Blackstar), testament sorti trois jours avant sa mort. Sans oublier l’EP No Plan, composé pour Lazarus, son musical off-Broadway.
Hier soir, 11 septembre, le rideau est tombé à 22h30. Mais l’impression, elle, reste vive : Bowie n’a jamais cessé de jouer avec le temps, la disparition, les réinventions. Même absent, il trouve encore le moyen d’organiser la bande-son de nos vies.
Paris a vécu Bowie comme on se partage un secret. Pas de nostalgie sucrée : une soirée tendue, lumineuse, qui rappelle qu’on ne termine jamais vraiment avec lui.
Veillée funèbre ? Pas vraiment. Plutôt une célébration, électrique, mélancolique, joyeuse. Bowie est parti, mais Bowie est encore là.
vous avez merveilleusement restitué la vibe ambiante de la soirée. Une overview travaillée, efficace, avec la bonne rythmique bien dosée et cette intrigue indicible mais bien présente quant aux ambiguïtés du personnage, pour lequel on succombe et s’interroge tout autant. Le mystère Bowie subsiste et fascine