Le 4 avril 1968, à Memphis, un coup de feu abattait Martin Luther King sur le balcon du Lorraine Motel. Depuis, la plaie reste béante. Archives sous scellés, commissions d’enquête bâclées, promesses politiques jamais tenues. L’administration Trump a rendu publiques, lundi 21 juillet, « plus de 230 000 pages » d’archives sur l’assassinat de Martin Luther King. Pourtant le mystère continue d’alimenter la grande machine américaine à fantasmes, entre balles perdues et manipulations d’État.
28 août 1963. Washington. La foule, le Lincoln Memorial, et quatre mots passés à la postérité : « I have a dream ». Vingt ans plus tard, jour pour jour, l’Amérique commémore son mythe. Et c’est précisément ce 28 août 1983 qu’un tueur choisit pour signer sa propre version de l’histoire : deux jeunes stagiaires retrouvées mortes à Manhattan. Anniversaire sanglant.
I had a nightmare
C’est dans cette faille qu’atterrit Black Gospel, roman graphique signé Laurent-Frédéric Bollée et Boris Beuzelin, sorti le 4 juin chez Robinson. Thriller percutant, d’inspiration Ellroy, où le rêve américain se fracasse contre ses propres murs. Année 1983 : Reagan à la Maison Blanche, crack qui ravage Harlem, CIA empêtrée dans l’ombre de l’Iran-Contra. Et, dans Manhattan, deux jeunes stagiaires retrouvées mortes la veille des vingt ans du fameux « I have a dream ». Serial killer ou commémoration morbide ?
Au bout du fil, l’inspecteur Jack Kovalski, flic blanc, raciste, borderline, sorte de Nick Nolte déglingué. On lui colle un rookie d’origine asiatique, Jimmy Cheng, pour faire moderne. Duo bancal, qui court derrière un tueur toujours une longueur d’avance. De New York à Washington, jusqu’aux ruelles d’Accra, la chasse vire à la descente aux enfers. Le gospel devient requiem.
Bollée, déjà auteur de La Bombe, joue la carte du récit choral : tuer l’innocence en pleine commémoration, exhumer Du Bois, mort la veille du discours de King, oublié des manuels, confronter les mythes à leurs fissures. On pense à Ellroy évidemment, ses flics vérolés et ses archives falsifiées, mais aussi le vieux cinéma parano des seventies Les Hommes du Président, Serpico, French Connection. Quand l’État et la rue se confondent, quand les héros sentent la sueur et la haine.
Beuzelin dessine en noir et blanc tranché, héritier de Miller pour la violence, de Pratt pour l’élégance, de Masereel pour l’épure. Pas de couleurs, pas d’espoir. C’est brutal, sans filet. Résultat : 160 planches où l’Amérique s’encrasse, où les buildings écrasent les corps, où la sueur de Harlem coule autant que le sang des victimes.
Dream is over
Pas de sanctification. King n’est pas icône intouchable, il devient cible indirecte d’une haine noire, fraternelle mais meurtrière. Du Bois, géant intellectuel enterré à Accra, surgit comme un rappel : l’histoire afro-américaine est plus vaste que le seul rêve d’août 63. « I have a dream », disait King en 63. En 83, Black Gospel répond : dream is over.


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