Une première dans les annales de la République : le dépôt d’une plainte collective pour injure publique auprès du juge d’instruction du Tribunal judiciaire de Paris contre Madame Brigitte Macron, épouse du chef de l’Etat. En cause, les propos sexistes tenus par la Première dame, le 7 décembre 2025 visant des militantes féministes, captés et rendus publics. Au cœur de cette offensive juridique et symbolique, 343 femmes et associations, baptisées avec force les 343 injuriées, entendent marquer un tournant.
Mais qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? C’est probablement ce que se sont dit les féministes suite aux propos tenus par Brigitte Macron. Apparemment assez pour être traitées de « sales connes » par l’épouse du chef de l’Etat. Le 7 décembre, dans les coulisses des Folies Bergère, la Première dame se laisse aller à une formule pour le moins désobligeante en soutien à l’humoriste Ary Abittan, récemment remonté sur scène après une accusation de viol classée sans suite : « S’il y a des sales connes, on va les foutre dehors ». Cette phrase, filmée, partagée et rapidement virale, a mis le feu au débat public. Une Première dame ne devrait pas dire ça ?
Le double discours du pouvoir
Petit rappel utile. Le 25 novembre 2017, à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, le président de la République, Emmanuel Macron, déclarait l’égalité entre les femmes et les hommes “grande cause nationale” du quinquennat 2017-2022. Deux ans plus tard, du 3 septembre au 25 novembre 2019, a été organisé le Grenelle des violences conjugales à la suite de nombreuses mobilisations contre les “féminicides” et la publication de l’étude nationale relative aux morts violentes au sein du couple qui recensait le décès de 121 femmes sous les coups de leur partenaire.
En visant des militantes féministes, Brigitte Macron n’a pas seulement dérapé. Elle a révélé un angle mort du pouvoir : l’incapacité persistante à comprendre ce que l’insulte fait aux victimes, et ce qu’elle autorise dans une société qui prétend lutter contre les violences faites aux femmes. D’autant plus que l’épisode intervient dans un contexte précis : le soutien affiché à Ary Abittan, remonté sur scène alors que la plaignante, selon ses proches, a traversé une période de grande détresse, jusqu’à une tentative de suicide. La Première dame s’est dite « du côté des victimes », mais à quel moment un message public de soutien à cette victime a-t-il été formulé ?
« Sales connes » : les mots qui trahissent l’Etat
Les mots sales connes choisis par la Première dame qui rappelons-le, est femme de lettres et professeur de théâtre, n’est pas anodin. Ils convoquent l’histoire linguistique du terme conne, souvent retraduit par « idiote », mais dont les racines et connotations sexuelles le rendent particulièrement violent lorsqu’il est prononcé par une personnalité politique.
De plus, « sale conne », s’inscrit dans un continuum de violences verbales que les femmes connaissent trop bien, particulièrement dans les contextes de violences conjugales et sexuelles, où l’insulte sert à humilier, isoler, faire taire. Dire « sale conne », ce n’est pas seulement « mal parler », surtout pour une Première dame, c’est dominer, voire humilier. Et que cette parole vienne de Brigitte Macron n’est pas anecdotique, elle a un poids institutionnel, et dit quelque chose du climat.
Face à l’onde de choc, Mme Macron a fini par s’excuser publiquement, dans une vidéo du média Brut se disant « désolée si j’ai blessé les femmes victimes », tout en défendant le contexte privé de ses paroles. Disqualifier les féministes, tout en se réclamant « du côté des victimes », voilà bien l’équation du “en même temps” auquel nous a habitué son époux le chef de l’Etat.
De l’insulte à la mobilisation
Dans l’espace public, l’expression sales connes a rapidement été retournée contre son auteure. Des personnalités comme Marion Cotillard, Judith Godrèche ou Camélia Jordana ont repris le terme comme un slogan de résistance « Moi aussi je suis une sale conne ». Les réactions politiques ont été tout aussi vives : de Marine Tondelier à des responsables associatifs, nombreux sont ceux qui estiment qu’une Première dame ne devrait pas tenir de tels propos, surtout dans un contexte où la violence sexiste est déclarée grande cause nationale.
Cohérence féministe, à la rédaction
Il faut le dire clairement : Rapporteuses a pris position pour défendre Brigitte Macron face aux attaques sexistes de Candace Owens, parce que la solidarité féministe ne se négocie pas avec l’extrême droite. Mais la cohérence oblige aussi à le dire : nous sommes du côté des “sales connes”. Celles qui dérangent, celles qui nomment, et qui refusent l’injonction à la respectabilité quand elle sert à étouffer les luttes. Le féminisme n’est pas un accessoire de communication. Il ne se découpe pas selon les affinités, il exige une chose simple : ne pas reproduire ce qu’on prétend combattre.
Un manifeste judiciaire contre l’injure
S’appuyant sur la Loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse, qui réprime l’injure publique envers un groupe déterminé, Les Tricoteuses hystériques annoncent une plainte déposée directement auprès du juge d’instruction du Tribunal judiciaire de Paris.
Cette plainte collective regroupe 343 plaignantes, un chiffre choisi consciemment en écho au Manifeste des 343 de 1971. En se rebaptisant les 343 injuriées, les militantes inscrivent leur démarche dans une continuité historique : de l’avortement libre à aujourd’hui, la lutte féministe se heurte encore à la violence symbolique et verbale.
Figures en première ligne
Parmi les plaignantes, quatre voix tirent la réclamation vers une dimension politique et médiatique. Vigdis Morisse Herrera, présidente des Tricoteuses hystériques, porte la plainte au nom des 343 : elle dénonce des propos qui, selon elle, « terrent des victimes dans le silence ». Maryne Bruneau, experte en égalité, parle de « non-réciprocité » entre soutien aux victimes et attaque des militantes. Nathalie Azuara pointe une « victimisation secondaire institutionnelle ». Élodie Jauneau voit dans l’insulte une résurgence de backlash contre les féministes engagées.
En s’appuyant sur la loi de 1881 sur l’injure publique, les plaignantes posent une ligne claire : l’insulte sexiste n’est pas une opinion, encore moins une liberté. C’est une violence qui vise un groupe déterminé ici, des militantes engagées contre les violences sexistes et sexuelle, qui produit un effet glaçant : la victimisation secondaire. Pour les plaignantes, laisser passer ces mots sans réaction, c’est accepter que la parole engagée soit ravalée au rang d’objet de dédain.
La plainte des 343 injuriées, portée par Les Tricoteuses hystériques, 3égales3 et MeTooMedia, est par conséquent un acte politique avec le même fil rouge, le même message : nos corps, nos paroles, notre dignité. Et si le pouvoir veut être crédible sur les violences faites aux femmes, il va devoir commencer par se taire quand il insulte, et écouter quand les victimes parlent.


