Ce 19 décembre 2025, Washington vivait un moment judiciaire et politique inédit : la justice américaine devait rendre publics des centaines de milliers de documents du dossier Jeffrey Epstein, mais l’exigence de transparence se heurte déjà à l’exécutif de Donald Trump. © iStocl

Epstein, le grand déballage en différé

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Vendredi 19 décembre 2025, Washington avait rendez-vous avec la vérité. Enfin, avec ce que le pouvoir accepte d’en laisser passer. Des centaines de milliers de pages, sur l’affaire Jeffrey Epstein, mort en cellule à New York le 10 août 2019 , devaient tomber du ciel institutionnel par le ministère de la Justice (DOJ). Elles sont tombées, oui mais, filtrées, temporisées. La transparence ? Pas pour cette fois.

Comme attendu, une première vague de centaines de milliers de pages a été rendue accessible, mais elle est partielle et fortement expurgée, notamment pour protéger l’identité des victimes, selon un haut responsable du DOJ. L’administration reconnaît que le dossier complet pourrait mettre des semaines à être divulgué, malgré la date limite légale.

Pourquoi cette loi, et pourquoi maintenant ?

L’origine remonte à l’ampleur toujours mystérieuse de l’affaire Epstein, qui avait mis en lumière un réseau complexe d’abus sexuels, de trafic international de mineures, de complicités et de personnalités influentes impliquées ou présentes dans les cercles sociaux de l’ancien milliardaire. Avant sa mort, Epstein faisait face à des accusations fédérales de trafic sexuel d’adolescentes sur plusieurs années. Cette impulsion législative est aussi une réponse à des années de critiques selon lesquelles les précédentes administrations auraient étouffé ou verrouillé des pans entiers du dossier. En septembre et novembre derniers, des démocrates de la Commission de supervision de la Chambre ont eux-mêmes publié des dizaines de photos et messages provenant de l’estate d’Epstein, comprenant des images de personnalités telles que Donald Trump et Bill Clinton, ainsi que d’autres éléments de contexte social, sans pour autant établir de liens juridiques directs avec des crimes commis par ces personnalités.

Le Epstein Files Transparency Act, adopté en novembre par un très large consensus au Congrès et signé par le président Donald J. Trump le 19 novembre 2025, donnait 30 jours au DOJ pour publier “tous les dossiers non classifiés liés aux enquêtes fédérales sur Jeffrey Epstein”, l’homme d’affaires accusé de trafic sexuel sur mineures et mort en prison en 2019 alors qu’il attendait son procès. Car Epstein n’est pas qu’un nom. C’est un système, un réseau, un révélateur. Celui d’une élite qui a trop longtemps confondu argent, pouvoir et impunité. Et dans ce théâtre, Donald Trump occupe une place inconfortable. Pas celle de l’accusé, aucune preuve judiciaire publique ne l’y installe, mais celle du personnage avant les élections présidentielles. Celui qui, depuis les années 80-90, a bâti sa marque sur le clinquant, les concours de beauté, les soirées mondaines, et les mannequins comme décor permanent du pouvoir de l’élite masculine internationale.

Trump, Epstein et la scène new-yorkaise

Sur le plan judiciaire, aucune accusation criminelle actuellement rendue publique ne relie formellement Donald Trump aux crimes d’Epstein. Ce dernier a été une figure sociale new-yorkaise à la fin des années 90 et au début des années 2000, fréquentant des cercles mondains dont Trump faisait également partie, selon des documents et images publiés ces derniers mois. Trump aimait les jeunes femmes, ce n’est pas un scoop, c’est une esthétique. Politiquement et médiatiquement, ces relations, souvent autour de soirées, de clubs ou d’événements mondains, ont semé le doute sur son intégrité, en particulier après qu’il a façonné sa réputation sur un mélange de glamour, de concours de beauté (y compris la création et l’organisation de Miss Univers), et d’une présence permanente auprès de jeunes femmes et de mannequins tout au long des années 1980-1990. Miss Univers, Miss USA, Miss Teen USA : un empire de strass construit bien avant la politique. L’arrivée de Melania, fait partie de cette narrative de séduction d’un monde élitiste et mondain, mais cette toile de fond n’est pas une preuve, elle fait partie des raisons pour lesquelles l’opinion publique et les démocrates veulent voir tous les documents Epstein rendus publics, dans l’espoir de comprendre jusqu’où allaient ces cercles d’influence. Melania, mannequin slovène rencontrée à New York, épouse en 2005, s’inscrit dans ce récit public, assumé, revendiqué même par Donald Trump. Rien d’illégal, jusque là, en tout cas, jusqu’à ce que surgisse l’affaire Epstein, le prédateur, pour créer la confusion.

Démocrates vs Trump : guerre de transparence

Les démocrates, de leur côté, jouent l’indignation officielle. L’annonce a même déclenché une tempête politique à Capitol Hill. Le leader de la minorité au Sénat Chuck Schumer (D-NY) et les représentants Jamie Raskin (D-MD)et Robert Garcia (D-CA), ont accusé l’administration de violer la loi qu’elle avait acceptée, et d’opter pour une divulgation progressive au lieu d’une libération complète dans les 30 jours impartis. “La loi que le Congrès a adoptée et que Trump a signée était claire : libérer tous les fichiers Epstein dans les 30 jours, pas seulement certains”, a déclaré Schumer vendredi.

Dans une rare convergence, certains républicains, comme Thomas Massie (R-KY), qui a co-sponsorisé la loi avec le démocrate Ro Khanna (D-CA), ont critiqué le DOJ pour ne pas avoir rempli ses obligations légales, jugeant que l’absence d’un nom significatif dans les documents pourrait indiquer une conformité très partielle au texte. Les démocrates ont même menacé de poursuites judiciaires, si le DOJ ne libèrait pas rapidement “tous” les documents, y compris des versions non expurgées, et ont demandé un audit indépendant du traitement des archives afin de dissiper toute accusation de “tampering” ou manipulation. Mais leur colère arrive tard, après des années de silences partagés, d’enquêtes incomplètes, de dossiers enterrés sous plusieurs administrations. Et malheureusement, l’affaire Epstein n’est ni républicaine, ni démocrate, elle est systémique. Elle embarrasse toute l’Amérique.

Alors, ces révélations peuvent-elles faire tomber Trump ? À ce stade, non. Ni juridiquement, ni politiquement non plus. En tout cas pas tant que son électorat aura appris à transformer chaque scandale en preuve de persécution. Epstein, pour eux, est un bruit de fond, un complot de plus, une diversion médiatique.

Où va l’affaire maintenant ?

Ce vendredi 19 décembre marque une étape, mais pas une conclusion. Le ministère annonce qu’il continuera à publier des vagues de documents dans les semaines à venir, peut-être jusqu’à ce que “tous” les fichiers exigés par la loi aient été rendus publics, ou jusqu’à ce que l’impasse politique force une action en justice, selon le Financial Times. Les démocrates ont déjà laissé entendre qu’ils comptent utiliser “toutes” les voies légales, législatives et administratives pour forcer l’intégralité de la publication et pour que les informations soient exploitables par les survivants d’Epstein et leurs conseils rapporte Forbes.

À Washington, l’affaire Epstein ressemble de plus en plus à un épisode mal monté de House of Cards, sans le panache, mais avec les mêmes intrigues et les mêmes secrets qu’on se refile sous la table. Transparence, pouvoir exécutif, accès du public à des dossiers ultrasensibles : tout se mélange dans un scénario où l’enquête criminelle sert de décor, avec le règlement politique et le débat démocratique de figurant. Un cocktail suffisamment instable pour faire tanguer la capitale à l’approche des midterms de 2026, que Donald Trump a lui-même admis pouvoir perdre.

Et c’est là que la chronique devient franchement corrosive. Car la vraie question n’est pas “Trump est-il coupable ?”, la justice, pour l’instant, ne l’affirme pas. La vraie question, c’est pourquoi une loi votée, signée, scellée le 19 novembre 2025 accouche d’un dévoilement à moitié nu, comme un dossier de la CIA passé sous silence ?

Sources :

Financial Times

Forbes

The Independent

CBS News

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Observatrices curieuses et infatigables, Rapporteuses racontent le monde qui les entoure avec un regard à la fois précis et espiègle. Du glamour des soirées parisiennes aux coulisses des affaires, de la culture aux nouvelles tendances, elles parcourent la ville et le monde pour capter les histoires, les personnages et les mouvements qui font l’actualité. Toujours sur le terrain, elles mêlent rigueur journalistique et sens du récit, pour offrir aux lecteurs des portraits, enquêtes et chroniques à la fois informatifs et captivants.
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